La politique en RDC : le népotisme systémique

par Milain Fayulu 15 Mai 2019

Il était une fois une famille. Une famille dont ni le parcours, ni les attributs de ses membres ne laissaient présager quelconques prédispositions à la gestion de la cité ou à un mandat de législateur.

Cependant, nonobstant quelques billets et aidée par un système gangrené par les anti-valeurs, cette famille a su transposer ses réunions dominicales de la modeste demeure familiale aux bancs dégarnis et à l’ambiance de cour de récréation du bien mal nommé Palais du Peuple à Kinshasa. Fiction dites-vous ? Hélas, il s’agit là d’un cas d’école congolais. Désormais, politique rime avec arbre généalogique, rarement pour le meilleur et souvent pour le pire.

La méritocratie: un concept lointain  

Loin de moi l’idée selon laquelle la politique ne peut en aucun cas être une affaire de famille. Les Kennedy aux États-Unis, les Ado au Ghana ou les Debré en France sont autant d’exemples de grandes familles politiques où les enfants ont brillamment emboîtés le pas à leurs parents. Jusque là, rien d’immoral.

L’immoralité intervient lorsque la mise en place de plusieurs membres d’une famille à différents postes clés du pouvoir est méthodiquement pensée, conçue et mise en scène pour tirer profit des généreux avantages, officieux et officiels, ayant trait à la fonction, et ce, sur le dos du contribuable. Autrefois réservé à des acteurs porteurs d’idées novatrices et à des leaders d’opinions, l’engagement politique s’apparente désormais à un juteux business au pays de Lumumba et de Kasavubu. Force est de constater que le phénomène prend des proportions inquiétantes et tue la méritocratie (aussi bien que sa soeur, la démocratie).

Les nouveaux héritiers de Léopold

En 18 ans de règne, le désormais ancien chef d’Etat congolais s’est fait le champion du brassage entre politique et business familial. Sa sœur, inconnue sur la place publique avant l’accession du frère au sommet de l’État s’est soudainement retrouvée à la tête d’un empire financier colossal. Son frère, lui aussi inconnu au bataillon à l’avènement du « Raïs » s’est brusquement retrouvé propriétaire de multiples affaires. Quelles sont leurs qualifications ? Quelles expériences ont-ils acquis dans les affaires ? D’où viennent les financements de leurs projets multiples à travers le pays et ses secteurs ? Autant de questions qui devraient (notez le conditionnel), animer les débats de l’Assemblée Nationale. Manipulant habilement les institutions et les lois de la république, ils fructifient leurs actifs en usant de l’immunité parlementaire et de montages financiers opaques. L’ampleur du pillage est telle que le journal américain Bloomberg s’est fendu d’un schéma pour illustrer le gigantisme de la prédation familiale sur l’économie congolaise. Cela explique en partie pourquoi «JK» avait besoin d’énormes garanties avant de céder sa place et voyait d’un mauvais oeil la victoire de la coalition Lamuka lors de l’élection présidentielle de décembre 2018.

Source : Bloomberg

Des institutions budgétivores à dessein

Le 9 mars 2019, le très sérieux Deskeco titrait :Train de vie des institutions en RDC : Présidence (66 millions USD). Primature (24 millions USD). Tous les ministères (647 millions USD)’. En d’autres termes, 15% du budget de l’État serait affecté au seul « fonctionnement » des institutions. De tels chiffres donnent froid dans le dos quand on sait que la part du budget allouée à l’éducation nationale représente à peine 1%. A titre de comparaison, dans les années 60 l’État congolais consacrait 26 à 30% du budget national à l’éducation. Comment justifier un tel écart entre ces deux affectations budgétaires ? La soudaine accumulation rapide de biens matériels de bon nombre de politiciens peu après leur entrée en fonction donne des éléments de réponses. Pendant son mandat, le politicien a tout le loisir de mettre à profit les moyens de l’Etat pour assurer à lui et son clan une sécurité financière illégitime. Le 20 mars 2019, l’occasion avait pourtant été donnée aux « élus » congolais d’alléger le fardeau budgétaire que représente leurs émoluments. Quand le député Delly Sessanga a introduit un amendement portant sur leur réduction, il s’est heurté à un rejet quasi unanime. L’échec de cette initiative en dit long sur l’état d’esprit des « représentants du peuple ».  

Bouée de sauvetage d’un héritier à un autre

Au Congo, de manière assez tragique, le débat politique tourne autour des individus et rarement autour du bien-être du peuple. Ainsi, Jeune Afrique relevait en janvier dernier que l’ex Président congolais avait déjà négocié l’exil de sa famille vers l’Afrique du Sud avec le Président Ramaphosa. Mais le « deal » passé avec le rejeton du Sphinx leur a permis de défaire leurs valises in extremis. Sans doute tétanisé par ce qui aurait pu leur arriver sans l’impunité garantie par le « Raïs », la quasi-totalité des caciques du régime avaient déjà, eux, planifié leur refuge au parlement et au sénat en amont. Les deux scrutins ont été, comme la présidentielle, entachés d’irrégularités. Le nouveau Président se retrouve aujourd’hui dans une situation intenable, pris entre ses engagements privés avec l’ancien régime, les attentes sociales de la population et l’impératif de donner des gages à une communauté internationale qui l’a reconnu sur le bout des lèvres. Peut-on espérer un changement de mœurs avec le nouvel exécutif ? Difficile à croire tant l’escroquerie qui a conduit à la passation de pouvoir au sommet de l’Etat porte en elle les germes les plus coriaces de la corruption. Au-delà des liens familiaux, la politique doit avant tout être une affaire de compétences et de probité morale. Il en va du bien-être de la cité et de ses citoyens. 

 

 

 

 

 

 

 

 

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