Minerais de guerre : un nouveau cadre légal européen

par Amory Lumumba 24 Fév 2021

Le Règlement européen (UE) est entré en vigueur le 1er janvier 2021. Il impose à certaines entreprises européennes importatrices de minerais de mettre en œuvre leur « devoir de diligence ».

Face à la fragilité des institutions de la RDC, la responsabilisation des entreprises du secteur minier apparaît comme une étape nécessaire pour remédier aux violations des Droits de l’Homme. Quels sont les principaux textes internationaux qui ont servi de socle au Règlement UE ? Quel impact du Règlement UE ?

La responsabilisation des entreprises, solution intermédiaire pour pallier à la fragilité de l’État 

Selon une approche classique des Droits de l’Homme, il incombe à l’État de faire respecter les Droits de l’Homme sur son territoire. Population et entreprises transnationales sont tenus de s’y conformer.

Or, un État fragilisé, qui connaît de graves troubles, ne peut, à l’évidence, assumer cette responsabilité.

Dans ce contexte, les entreprises transnationales ne subissent aucun ou trop peu de contrôle. Elles peuvent ainsi se rendre complices indirectes du maintien de conflits caractérisés par des violations des Droits de l’Homme.

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L’exploitation des « 3TG » (l’étain, le tantale, le tungstène et l’or) en RDC en est une parfaite illustration. La RDC peine à asseoir son autorité au sein des provinces les plus riches en ressources minières (Nord-Sud Kivu, ancien Katanga etc).

Cette faiblesse est exploitée par les multinationales du secteur minier, « libres » de faire ce qu’elles veulent. Leurs actions contribuent ainsi au maintien des conflits et aux violations des Droits de l’Homme. Raison pour laquelle les « 3TG » sont également appelés « minerais de guerre ». 

 Comprendre la responsabilité des entreprises – Amnesty International

Les années 90 ont vu grandir, sous l’impulsion des ONGs, l’ambition de briser un cercle vicieux. Celui dans lequel les conflits et violations des Droits de l’Homme prospèrent grâce à l’exploitation des ressources minières.

Dans cette optique, un certain nombre de textes encouragent les entreprises à adopter un comportement responsable. 

Les Principes Directeurs de l’ONU, un texte référence

Dès 2011, l’Organisation des Nations-Unies (ONU) publie les Principes Directeurs Relatifs aux Entreprises et aux Droits de l’Homme. Il s’agit du premier texte international qui traite de la question des violations des Droits de l’Homme par les entreprises.

Ils reposent sur 3 piliers : (I) l’obligation de protéger les Droits de l’Homme incombant à l’État, (II) la responsabilité incombant aux entreprises de respecter les Droits de l’Homme, (III) l’accès à des voies de recours.

Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux Droits de l’Homme

Le deuxième pilier des Principes Directeurs invite les entreprises à adopter un comportement responsable en matière de Droits de l’Homme. D’une part en identifiant les violations et d’autre part en faisant état des mesures entreprises pour y remédier.

Cependant, les Principes Directeurs n’ont pas vocation à établir une responsabilité juridique contraignante à l’égard des multinationales. Il s’agit avant tout d’une compilation de bonnes pratiques et de recommandations.

Les Principes Directeurs ont inspiré l’élaboration de textes importants : la Loi Dodd-Franck (États-Unis), le Guide de l’OCDE ainsi que le Règlement (UE).

Le Guide de l’OCDE sur l’approvisionnement responsable en minerais (2016)

En 2016, l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) intègre les recommandations du deuxième pilier des Principes Directeurs pour le cas particulier de l’exploitation minière. Elle l’adopte dans son Guide sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque.

Il recommande aux entreprises de mettre en œuvre leur « devoir de diligence ». Il s’agit de vérifier que les minerais dont elles s’approvisionnent n’ont pas été extraits de manière à financer les conflits ou d’autres activités illicites.

Ce devoir de diligence s’applique à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. En amont, pour les entreprises qui extraient, fondent et affinent les minerais. En aval, pour celles qui les transforment en produits finis et les vendent aux consommateurs finaux.

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Tout comme les Principes Directeurs, le guide OCDE produit essentiellement du droit mou (soft law).

Il n’impose aucune obligation à l’égard des entreprises. Par conséquent, le non-respect des recommandations ne s’accompagne d’aucune sanction. 

Ils exposent tout au plus les entreprises à une pression sociale et de réputation.

C’est dans ce cadre que la régulation des chaînes d’approvisionnement de minerais en RDC s’est imposée comme un enjeu politique au sein de l’Union Européenne. 

2021 : Le Règlement UE, une avancée timide

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Le 16 septembre 2013, une coalition de 59 ONG a exigé de l’Union Européenne qu’elle adopte une « législation stricte (…) contraignant les entreprises européennes à exercer un devoir de diligence approfondi sur les chaines d’approvisionnement en minerais ».

En tant que premier destinataire des 3TG (étain, tungstène, tantale et or) représentant près d’1/4 du marché́ mondial des 3TG en 2013, il était impératif que l’Union Européenne se dote d’un cadre juridique à la hauteur. 

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Les organes européens se sont saisis de la question : 

  • La Commission européenne a prôné un système d’auto-certification volontaire pour les seules entreprises importatrices de minerais. Une option plébiscitée par les multinationales du secteur. 
  • Le Parlement européen a défendu un système de certification contraignant pour toute la chaîne d’approvisionnement conformément à l’appel de la société civile. Sa position se justifiant notamment par le constat de l’inefficacité́ des systèmes volontaires existants pour endiguer le problème.

In fine, le Règlement UE a pris la voie médiane en prévoyant un système contraignant du devoir de diligence. Seulement, la contrainte est uniquement à l’égard des entreprises importatrices des 3TG de l’extérieur vers l’intérieur du territoire douanier de l’Union Européenne.

Le Règlement UE, contrairement au texte initialement proposé par le Parlement Européen, ne rend pas le devoir de diligence contraignant pour l’ensemble  de la chaîne d’approvisionnement. Il n’est contraignant que pour les gros importateurs européens de minerais et de métaux.

Ainsi il exclut du système contraignant du devoir de diligence les petits importateurs de minerais et les entreprises qui vendent des produits finis tels que les tablettes ou les smartphones. En effet, le produit fini vendu en Europe est très rarement produit en Europe.

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En d’autres termes, la majorité des minerais exportés de RDC ne sont pas des matières premières à destination de l’Union Européenne ; elles seront d’abord transformées dans les pays tiers en produits finis avant d’y être importées.

Les failles du Règlement Européen

Cette exclusion constitue une faille importante et préoccupante dans la lutte contre les minerais de sang, selon Judith Sargentini, alors eurodéputée. De même, le Dr. Mukwege, Prix Nobel de la paix a relevé que la législation européenne reste insuffisante pour la stabilisation de l’Est de la RDC.

Le caractère contraignant du devoir de diligence pour les gros importateurs européens de minerais et de métaux est à saluer.

Toutefois, le Règlement n’aura sans doute que très peu d’impact sur le terrain pour les populations affectées par les conflits. 

Aussi, difficile d’imaginer qu’il permettra de briser les liens entre l’exploitation minière en RDC et les violations des Droits de l’Homme.

Amory Lumumba

NOTE

Cet article s’inspire librement du mémoire de Droit Public & International suivant :

Arslanian, Varsia, “Règlement UE sur l’approvisionnement responsable en minerais : une application des Principes directeurs des Nations Unies ?”, Université Libre de Bruxelles, 2017.

Varsia est titulaire d’un master en droit public et international avec distinction de l’Université Libre de Bruxelles. Varsia a rejoint en février 2020 le département de droit administratif et public du cabinet DALDEWOLF.

 

 

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