Roger Kasongo
En juin 2022, le gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC) publie les grandes lignes d’un contrat sur l’exportation de l’or avec Primera Gold, une entité jusque là inconnue du grand public. L’objectif affiché est de lutter contre le trafic illicite du métal précieux. Pourtant, le contrat, d’une durée de 25 ans, renouvelable, attribue à la société “l’exclusivité sur l’exportation de l’or artisanal et un taux préférentiel” de 0.25%. Ce contrat accorde également le droit exclusif d’exporter le coltan, le tin, le tantalum et le tungsten (3T) artisanal à un taux de taxation exclusif de 3.5%, ce qui est du jamais vu. L’ONG ‘Le Congo n’est pas à vendre’, un collectif de 14 organisations congolaises et internationales promouvant la transparence dans les secteurs miniers et financiers dénonce à l’époque un contrat “troublant”.
Un contrat léonin
Dans le registre des transactions en matières premières, le cas de Primera Gold sert d’exemple probant de ce qui est souvent perçu comme une forme de néo-colonialisme de l’Afrique par des opérateurs économiques internationaux. De manière tragique, cette exploitation s’opère avec la bénédiction des dirigeants congolais qui perpétuent des pratiques d’un autre temps, mais cette fois avec de nouveaux partenaires. En filigrane, il s’agit de dépouiller la RDC de ses ressources naturelles au profit d’intérêts étrangers et au détriment du peuple congolais.
Cri d’alerte citoyen
L’affaire Primera Gold met en lumière la nécessité d’accroître la vigilance dans le commerce mondial des ressources naturelles. Il ne s’agit pas seulement d’une question économique ou de droit, mais d’une question d’humanité et de justice sociale. Cela est d’autant plus important au moment ou la RDC traverse une période électorale charnière. Car, tout porte à croire que bon nombre de politiciens qui sollicitent actuellement la confiance de la population n’hésiteront pas à la trahir en bradant le sous sol congolais une fois au pouvoir. D’où, la nécessité de mettre en exergue le système de prédation qui nous gouverne.
A cet effet, cet article est basé sur des informations vérifiables. Toutes les affirmations faites sont soutenues par des documents accessibles au public. Il s’appuie également sur les rapports suivants:
En tant que citoyen congolais, il est de mon devoir de faire la lumière sur les vices qui rongent mon pays et de dénoncer les auteurs, quels qu’ils soient. Mon but avec cet article est d’informer afin que nous, congolais, puissions collectivement faire mieux pour les générations futures.
Les principaux acteurs étrangers
L’initiateur du projet, Sibtein Alibhai, est un homme d’affaires indo-canadien, ayant précédemment travaillé en Amérique latine, Il est notamment le fondateur d’Alfa Gold, société accusée de financer directement le M23 et d’avoir livré des AK-47 à des milices armées opérant au Kivu selon l’ONG Global Witness.
Le fonctionnement d’Alfa Gold est relativement simple. L’or est d’abord exporté illégalement vers le Rwanda, puis légalement de là vers Dubaï où il est vendu. Dans ce rapport de Global Witness, la société Alfa Gold est dénoncée, avec preuves et références pour l’exportation d’or illégale en RDC. Ce rapport indique même qu’Alfa Gold a fourni plusieurs AK-47 à des milices armés du Kivu pour sécuriser un dépôt d’or dans une rivière. Il cite nommément Frank Menard qui était le représentant de Alfa Gold en RDC. Des rapports des Nations Unies confirment que le M23 et certaines milices du Kivu bénéficient de l’exportation illégale d’or depuis la RDC.
Les liens avec Primera Gold
Alibhai est associé à Ajay Bhatia, un homme d’affaires Indien associé à Primera. Ce dernier est connu pour être proche de personnalités dans les plus hautes sphères politiques du Golf Persique. Selon des informations issues d’Africa Intelligence, Alibhai entretiendrait depuis des années des relations commerciales avec des Emiratis par l’intermédiaire de Bhatia.
Au sein de Primera Group, Bhatia jouerait un rôle crucial dans la prise de décisions stratégiques et opérationnelles, la coordination avec des sociétés locales et internationales, et les accords conclus avec les différents partenaires.
Son périmètre d’intervention s’étendrait notamment au choix des permis miniers en RDC qui ferait actuellement l’objet d’âpres négociations. Ces négociations pourraient impliquer des questions ayant trait à la souveraineté et la sécurité nationale, compte tenu du fait que certains des permis sous considération étaient précédemment détenus par l’Etat à travers la Gécamines.
Des entités montées pour les besoins de la cause
Le peu de temps entre l’obtention du contrat et les dates d’enregistrement de différentes entités de Primera laissent perplexe. En effet, Primera Group Limited UAE a été constituée le 08/02/2022, et Primera Holdings LIMITED a été constituée le 02/02/2023 (Consultable ici sur le registre officiel des sociétés aux Emirats). Le fait que cette holding ait été créée après la signature des accords interroge. Comment est-il possible d’attribuer un tel marché et une exclusivité aussi grande sur des ressources congolaise stratégique à une société d’à peine quelques mois? Et ce, sans aucune vérification sur l’initiateur controversé du projet.
Encore plus troublant, au niveau de la procédure, il semble que rien n’ait été respecté. Il est également important de noter que le gouvernement des Emirats Arabes Unis n’a pris aucun risque dans ce dossier, et ne s’expose pas. En cas de problème, il pourra raisonnablement affirmer qu’il a simplement fait affaire avec une société privée ayant importé légalement l’or.
Le drame pour les Congolais c’est que l’investissement de ces sociétés en RDC est quasi nul. En échange de promesses, ils ont obtenu l’exclusivité de l’exportation de l’or artisanal. Résultat des courses, au lieu d’exporter illégalement l’or les acteurs le font désormais de manière légale, mais toujours au grand dame du peuple congolais et avec la bénédiction du gouvernement de Felix Tshisekedi.
Le processus d’importation de l’or congolais vers les Emirats via le Rwanda
Le transit illicite des minerais congolais vers le Rwanda est un secret de Polichinelle. Néanmoins, des solutions pérennes existent pour que la RDC exploite son potentiel en or à bon escient. C’est pourquoi ces nouveaux flux, sous couvert d’une fausse éthique, viennent compliquer davantage l’equation de la traçabilité. Cette situation intervient dans un contexte où malgré des efforts nationaux et internationaux pour rendre la chaîne d’approvisionnement en or plus transparente, le commerce illégal demeure quasi ininterrompu.
A ce sujet, un rapport de l’ONG Impact, spécialisé en plaidoyer pour la bonne gestion des ressources naturelles analyse le commerce illicite de l’or en RDC, en mettant un accent particulier sur les défis de la traçabilité et de la diligence raisonnable. L’étude de cas révèle que trois entreprises rwandaises ont été les principales exportatrices d’or vers Dubaï de janvier à Mai 2016. Parmi celles-ci, Golden Gold Ltd., détenue publiquement par Karim Somji, est particulièrement mise en avant. Cette entreprise a effectué 25 exportations vers Alfa Gold Corp DMCC (société de Alibhai) à Dubaï entre février et décembre 2014. D’autres entreprises, comme Onyx Mining Ltd. et Sigma Mining Corporation Ltd., ont également exporté exclusivement vers Alfa Gold Corp DMCC pendant des périodes similaires.
Au vu de ces réalités, il est suspect que la partie congolaise ait octroyé de tels avantages, d’autant plus que Primera joue un double rôle, étant à la fois du coté de l’offre et de la demande.
Une intégration verticale qui pose problème
Le rapport d’Impact indique que le processus de vérification est compromis lorsque des entités appartenant au même individu ou à la même structure commerciale gèrent simultanément l’exportation et l’achat. Cette “intégration verticale” mine les directives de l’OCDE et du Dubai Multi Commodities Centre (DMCC) sur la diligence raisonnable, rendant inefficaces les efforts pour traquer et atténuer les risques dans la chaîne d’approvisionnement en or.
Les questions
Maintenant que le contexte est établi, de nombreuses questions se posent:
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- Quels sont les acteurs du gouvernement congolais qui ont participé à la mise en place de cette vaste entreprise néo-coloniale?
- Quel rôle a joué le ministre des finances de la RDC, Nicolas Kazadi?
- Quel est le rôle de Felix Tshisekedi dans cette affaire?
- Pourquoi le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, s’en est-il pris violemment au Prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege, lorsque ce dernier a dénoncé les dessous de cette affaire?
La deuxième partie couvrira l’analyse légale et contractuelle du dossier.
Roger Kasongo
In June 2022, the government of the Democratic Republic of Congo (DRC) published the outlines of a gold export contract with Primera Gold, an entity hitherto unknown to the general public. The stated aim is to combat illicit trafficking of the precious metal. However, the 25-year renewable contract gives the company “exclusive rights to export artisanal gold and a preferential rate” of 0.25%. The contract also grants the exclusive right to export artisanal coltan, tin, tantalum and tungsten (3T) at an unprecedented exclusive tax rate of 3.5%. The NGO ‘Le Congo n’est pas à vendre’, a collective of 14 Congolese and international organizations promoting transparency in the mining and financial sectors, denounced at the time a “disturbing” contract.
A leonine contract
In the panorama of raw materials transactions, the Primera Gold case serves as a convincing example of what is often perceived as a form of neo-colonialism of Africa by international economic operators. Tragically, this exploitation is taking place with the blessing of Congolese leaders, who are perpetuating practices from another era, but this time with new partners. The underlying aim is to strip the DRC of its natural resources for the benefit of foreign interests, to the detriment of the Congolese people.
Citizen alert
The Primera Gold affair highlights the need for greater vigilance in the global trade of natural resources. This is not just an economic or legal issue, but one of humanity and social justice. This is all the more important at a time when the DRC is going through a pivotal electoral period. For there is every reason to believe that many of the politicians who are currently seeking the trust of the population will not hesitate to betray it by selling off the Congolese subsoil once in power. Hence the need to highlight the system of predation that governs us.
To this end, this article is based on verifiable information. All assertions made are supported by publicly available documents. It is also based on the following reports:
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- Global Witness Report
- United Nations Report on Illegal Gold Trade
- Impact Report
- Joint Venture Contract between Primera and the DRC
As a Congolese citizen, it is my duty to shed light on the vices that plague my country and to denounce the perpetrators, whoever they may be. My aim with this article is to inform, so that we Congolese can collectively do better for future generations.
The main foreign players
The project’s initiator, Sibtein Alibhai, is an Indo-Canadian businessman who previously worked in Latin America. He is notably the founder of Alfa Gold, a company accused of directly financing the M23 and of having delivered AK-47s to armed militias operating in Kivu, according to the NGO Global Witness.
Alfa Gold’s operations are relatively straightforward. Gold is first exported illegally to Rwanda, then legally from there to Dubai, where it is sold. In this Global Witness report, Alfa Gold is denounced, with evidence and references, for exporting illegal gold to the DRC. The report even states that Alfa Gold supplied several AK-47s to armed militias in Kivu to secure a gold deposit in a river. It mentions Frank Menard by name, who was Alfa Gold’s representative in the DRC. United Nations reports confirm that the M23 and certain Kivu militias benefit from the illegal export of gold from the DRC.
Links with Primera Gold
Alibhai is associated with Ajay Bhatia, an Indian businessman associated with Primera. Bhatia is known to be close to leading figures in the Persian Gulf’s highest political circles. According to information from Africa Intelligence, Alibhai has for years maintained business relations with Emiratis through Bhatia.
Within Primera Group, Bhatia plays a crucial role in strategic and operational decision-making, coordination with local and international companies, and agreements with various partners.
Bhatia’s scope of involvement would include the selection of mining licenses in the DRC, which is currently the subject of fierce negotiations. These negotiations could involve issues of national sovereignty and security, given that some of the licenses under consideration were previously held by the state through Gécamines.
Entities set up for the needs of the cause
The short time between obtaining the contract and the registration dates of various Primera entities is perplexing. Indeed, Primera Group Limited UAE was incorporated on 08/02/2022, and Primera Holdings LIMITED was incorporated on 02/02/2023 (Consultable here on the official register of companies in the Emirates). The fact that this holding company was created after the signing of the agreements raises questions. How is it possible to award such a contract and such a high degree of exclusivity over strategic Congolese resources to a company barely a few months old? And this, without any verification of the controversial initiator of the project.
Even more disturbing is the fact that, in terms of procedure, nothing seems to have been respected. It is also important to note that the UAE government has taken no risks in this matter, and is not exposing itself. In the event of a problem, it can reasonably claim that it simply dealt with a private company that legally imported the gold.
The tragedy for the Congolese is that investment by these companies in the DRC is virtually nil. In exchange for promises, they obtained exclusive rights to export artisanal gold. As a result, instead of exporting gold illegally, these players are now doing so legally, to the great detriment of the Congolese people and with the blessing of Felix Tshisekedi’s government.
The process of importing Congolese gold to the Emirates via Rwanda
The illicit transit of Congolese minerals to Rwanda is an open secret. Nevertheless, long-term solutions exist to ensure that the DRC makes the most of its gold potential. This is why these new flows, under the guise of false ethics, further complicate the traceability equation. This situation arises in a context where, despite national and international efforts to make the gold supply chain more transparent, illegal trade remains virtually uninterrupted.
In this regard, a report by the NGO Impact, which specializes in advocacy for the proper management of natural resources, analyzes the illicit gold trade in the DRC, with particular emphasis on the challenges of traceability and due diligence. The case study reveals that three Rwandan companies were the main exporters of gold to Dubai from January to May 2016. Of these, Golden Gold Ltd, publicly owned by Karim Somji, is particularly highlighted. This company made 25 exports to Alfa Gold Corp DMCC (Alibhai’s company) in Dubai between February and December 2014. Other companies, such as Onyx Mining Ltd. and Sigma Mining Corporation Ltd. also exported exclusively to Alfa Gold Corp DMCC during similar periods.
Given these realities, it is suspicious that the Congolese side would have granted such advantages, especially as Primera plays a dual role, being both on the supply and demand side.
Problematic vertical integration
The Impact report indicates that the verification process is compromised when entities belonging to the same individual or business structure simultaneously manage export and purchase. This “vertical integration” undermines OECD and Dubai Multi Commodities Centre (DMCC) due diligence guidelines, rendering ineffective efforts to track and mitigate risks in the gold supply chain.
The issues
Now that the context is established, many questions arise:
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- Which Congolese government players were involved in setting up this vast neo-colonial enterprise?
- What role did DRC Finance Minister Nicolas Kazadi play?
- What role did Felix Tshisekedi play in this affair?
- Why did government spokesman Patrick Muyaya violently attack Nobel Peace Prize winner Denis Mukwege when the latter denounced the background to this affair?
The second part will cover the legal and contractual analysis of the case.
Roger Kasongo