Enfant sorcier : l’envers inconscient d’une croyance

par Didier Mavinga Lake 26 Mai 2021

Chaque année des milliers de personnes sont accusées de sorcellerie en RDC. Sur plus de 30.000 enfants abandonnés dans les rues de Kinshasa, ils seraient 25.000 à avoir été accusés de sorcellerie.

Ce phénomène représente un vrai frein pour le développement économique et social de la République Démocratique du Congo (RDC) en particulier et de l’Afrique en général.

Quel futur pour ces enfants ? En l’absence d’un cadre structurant, comment peuvent-ils envisager la différence entre l’imaginaire et la réalité ? le bien et le mal ? le permis et l’interdit ?

L’envers inconscient de la croyance en la sorcellerie

“L’enfant sorcier et la psychanalyse”
Editions Erès

Comment comprendre la croyance et les pratiques sociales qui consistent à accuser certains enfants ou adultes de sorcellerie ?

Par sorcellerie, dans sa lecture culturelle, j’entends une pratique attribuée à un sorcier, qui possèderait un pouvoir surnaturel.

Un pouvoir maléfique lui permettant de répandre le malheur dans la société et de nuire à autrui par des actions magiques pouvant aller jusqu’à donner la mort.

Il s’agit d’une forme de projection psychologique encouragée par la culture.

Ce qui est en jeu ici, c’est la responsabilité subjective du malheur, de l’échec personnel voire d’un conflit psychique.

Dans ces sociétés qui pratiquent la sorcellerie, la cause du malheur est du point de vue culturel imputée à un autre, le sorcier (enfant ou adulte).

La pratique analytique (un travail sur soi) impose à la personne même, l’opération qui est une rectification subjective imputant au sujet lui-même la cause de ce dont il se plaint.

Contrairement à ma première réflexion où je théorisais sur la notion de survivance du stade animiste dans ces sociétés, aujourd’hui ma réflexion me conduit à réviser cette approche, qui n’est pas compatible avec l’universalité de la structure psychique.

Comprendre l’origine des accusations de sorcellerie

Il y a une double lecture à avoir de ces croyances.

La lecture culturelle : la croyance à la sorcellerie

La lecture structurelle : un conflit psychique au niveau des repères structurels sur le plan clinique, voire une pathologie psychiatrique. Structure est ici à comprendre comme une organisation psychique dont les modalités se manifestent au plan clinique par des symptômes relevant de la névrose, de la psychose ou de la perversion.

Il s’agira à chaque fois de faire la différence entre croyance et pathologie chez ceux qui projettent sur un enfant ou un adulte des accusations de sorcellerie.

La question à se poser est, quelle est la part de la croyance collective et quelle est la part des propres conflits psychiques de la personne qui accuse un enfant ou un adulte de sorcellerie ?

Sorcellerie et pouvoir de la pensée

Donner du pouvoir à ses pensées n’est pas propre à l’Africain. C’est universel.

Il y a une universalité de la structure psychique qui fait que les croyances aux esprits ou aux sorciers s’observent aussi bien en Occident sous la forme de phobie ou de rituel obsessionnel qu’en Afrique.

Cela n’a donc rien à voir avec une mentalité primitive qui caractériserait les sociétés africaines.

ALLER PLUS LOIN :  L’enfant sorcier et la psychanalyse (2019)

En revanche, la pensée animiste dans la perspective de l’approche psychanalytique, constitue un mode de fonctionnement inconscient propre à une dispersion de formations culturelles empiriques (qui ne s’appuie que sur l’expérience, l’observation).

La théorie de l’esprit humain que l’on trouve dans la « Pensée sauvage » de Lévi-Strauss, indique, je cite :

« Que tout esprit d’homme est un lieu d’expériences virtuelles pour contrôler ce qui se passe dans des esprits d’hommes quelle que soit la distance qui les sépare, distance géographique, distance historique ».

Sorcellerie et sociétés Africaines : un cas spécifique

Il demeure une spécificité propre aux sociétés africaines. Les dysfonctionnements familiaux et les problèmes qui en découlent sont bien souvent imputés à l’enfant.

C’est ici strictement l’inverse de ce qu’on peut observer dans les familles occidentales. La souffrance d’un enfant y est également réinscrite dans un contexte familial mais plutôt imputée aux parents.

La persistance du malheur ou des symptômes, malgré la mise à l’écart de « l’enfant ou adulte accusé de sorcellerie » conduit les membres de ces sociétés à faire appel à des pasteurs évangéliques, dans une sorte d’abandon méfiant du guérisseur qu’ils consultaient auparavant pour « aller mieux » ou  « exorciser l’identité prescrite de sorcellerie ».

Entre religion et sorcellerie

On assiste actuellement en Afrique à une recrudescence de la foi chrétienne, dans une sorte de cohabitation entre le christianisme et la croyance au sorcier.

La Bible semble y remplacer les fétiches de protection. On assiste à un passage du fétiche à la prière.

Penser qu’aller prier suffira à résoudre ses problèmes c’est s’enfermer dans le monde du désir. Un monde qui s’oppose à celui de la réalité. Si la religion est importante dans l’économie libidinale des individus, sa potentialité futurisante (faire croire à un futur heureux) ne suffit pas pour résoudre ses problèmes.

Penser inconsciemment trouver un « certificat d’existence » en payant des Évangéliques ne suffit pas non plus.

Les dangers de ce genre de croyance, c’est d’imputer à une victime innocente les causes de ses propres problèmes, ce qui induit comme conséquence de mettre des individus en situation d’échec plutôt que de réussite.

Des individus qui vont s’imposer à eux-mêmes des restrictions, des limitations et des inhibitions importantes au quotidien, dans tout ce qu’ils entreprennent, au lieu d’aller de l’avant.

Le danger le plus grave et c’est une urgence absolue : ce sont les infanticides des enfants sorciers au Benin ; la chasse aux sorciers à Jambur en Gambie ; les femmes « sorcières » recluses de Gambaga au Ghana…

Le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) explique dans un article du 02 janvier 2019 que « Plus de treize mille enfants à Kinshasa, en République Démocratique du Congo (RDC) seraient considérés comme des sorciers ou « ndoki ».

L’approche clinique ou comment mieux appréhender la formation de ces pratiques

Il est évident que le respect et le rapport à la loi ne sont pas les mêmes chez ces futurs adultes que chez les enfants qui ont grandi normalement. Vu le nombre élevé de ces enfants chassés et abandonnés par leurs familles, la prise en compte de ce problème reste une priorité.

Il nous faut donc sortir du relativisme culturel, cette haine douce de la réalité et faire le lien entre le singulier de la culture et l’universalité du fonctionnement psychique.

L’Afrique n’est pas qu’en mouvement, elle est aussi en chantier en ce qui concerne le changement des mentalités concernant ce symptôme culturel de la sorcellerie.

La visée de cette contribution est, à chaque fois, d’effectuer ce parcours, de la culture à la subjectivité de manière à entendre la fonction du symptôme culturel dans l’organisation subjective.

L’appréhension clinique de ces formations vise à tenter de lever la répétition de ce symptôme en permettant à la personne de choisir des postures plus propres à sa subjectivité, plus singulières, et, partant, plus actives dans sa propre existence.

Dr Didier Mavinga Lake

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