Yangambi : reconquête d’une renommée scientifique passée

par Ahtziri Gonzalez 5 Mai 2021

L’exposition «Koyeba Yangambi», en ligne jusqu’au 7 juillet 2021 célèbre la longue histoire de l’emblématique centre de recherche de Yangambi. Organisée par l’Institut National d’Étude et de Recherche Agronomiques (INERA) et le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR), Koyeba Yangambi a l’objectif de valoriser le riche héritage scientifique de Yangambi.

Un centre avec le potentiel de positionner la RDC à l’avant-garde de la recherche forestière. Retour sur l’histoire d’une station de recherche autrefois de renommée internationale.

Yangambi : un passé colonial

Station centrale d’écoclimatologie de l’INEAC à Yangambi. Photo : Anonyme/ Collection Bibliothèque INERA (circa 1950).

Située au milieu de la forêt tropicale du bassin du Congo, la station de recherche de Yangambi est née du rêve colonial de mettre la science au cœur du développement agricole du Congo belge.

C’est le futur roi Léopold III qui a impulsé la création de l’Institut National pour l’Étude Agronomique du Congo belge (INEAC) en 1933, une institution bien dotée en ressources financières et humaines, composée d’un réseau de 37 stations de recherche1Fin 1933, Léopold III, qui était à l’époque encore Duc du Brabant, prit l’initiative de changer radicalement la politique agricole. Après ses voyages au Congo et aux Indes néerlandaises, il pouvait – de par son vécu – se considérer comme un « expert ». Le régime des cultures obligatoires fut aboli et l’organisation des « chefferies » fut redessinée. Peu après, l’Institut National pour l’Étude Agronomique du Congo Belge (Inéac) succéda à la REPCO. La nouvelle institution avait un caractère éminemment scientifique et jouera un rôle-clé dans l’approvisionnement en caoutchouc et en huile de palme pendant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, l’INEAC se spécialisa dans l’étude de différents végétaux et dans les techniques agricoles. Son centre de recherche à Yangambi devint, dans les années 1950, le fleuron de la politique agricole coloniale de la Belgique et jouit d’une renommée internationale. L’INEAC fonda des centres de recherches partout au Congo et au Ruanda-Urundi. L’indépendance du Congo belge en 1960 et du Ruanda-Urundi en 1962 mit brusquement fin à l’expertise accumulée par l’INEAC. Les critiques estimaient que l’institution avait été uniquement à la solde d’une agriculture orientée vers l’exportation. L’institution fut dissoute le 31 décembre 1962..

La plus importante  d’entre elles étant celle de Yangambi, à 100 kilomètres de la ville de Stanleyville (aujourd’hui Kisangani), le long du fleuve Congo.

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De 1945 à 1960, le centre de Yangambi s’est imposé en tant que pôle d’innovation agronomique le plus dynamique en Afrique.

À l’époque, ses programmes de recherche sur le palmier à huile, le café, l’hévéa, le cacao, et les bananes produisent des avancées scientifiques qui ont contribué de manière significative au développement de l’agriculture et de la foresterie tropicales dans le monde entier.

En parallèle de la décolonisation des institutions dans le pays, l’INEAC a été démantelé pour faire place à l’INERA qui reprend alors la gestion de Yangambi.

Yangambi : reconstruire les vestiges 

Les chercheurs de l’INERA mènent une observation phénologique sur l’Afrormosia en forêt. Photo : Axel Fassio/CIFOR (2020)

Après l’indépendance, Yangambi s’est vite confrontée à des troubles récurrents. Malgré une volonté forte de poursuivre sa mission, le centre de recherche a subi de plein fouet l’instabilité générale du pays et les activités du centre se sont ralenties. 

Ce n’est qu’au cours des quinze dernières années, grâce notamment à l’amélioration de la situation sécuritaire dans la région que Yangambi a repris progressivement ses activités scientifiques. 

Aujourd’hui, le centre de recherche est un « laboratoire à ciel ouvert » pour une nouvelle génération de chercheurs en quête d’un avenir durable pour les vastes forêts du pays. 

Grâce au soutien de ses partenaires internationaux, l’INERA a pu relancer ses activités en 20162Jusqu’en 2015, la Belgique a financé un projet pour la recherche sur l’amélioration de la production agricole. Le Jardin botanique Meise a depuis 2007 collaboré avec l’équipe de l’herbier pour mettre à jour sa collection botanique, la plus grande d’Afrique centrale. Dans la même année, le CIFOR a lancé un programme master et de doctorat en gestion durable des forêts à l’Université de Kisangani (UNIKIS), ce qui a permis aux étudiants de mener des recherches sur le terrain à Yangambi..

Le lancement de la nouvelle initiative de l’Union Européenne en 2017 est un tournant. Elle promeut le développement local, la conservation et la recherche appliquée à Yangambi.

Yangambi : au service de la population

La tour à flux de Yangambi est la première tour de ce type au cœur de la forêt tropicale du bassin du Congo. Photo : Axel Fassio/CIFOR (2020)

Cependant, une préoccupation majeure à Yangambi est la croissance de la population dans une zone où il y a peu d’opportunités économiques autre que la surexploitation des ressources forestières. 

Ainsi la plupart des financements reçus par le centre sont utilisés directement pour la création des moyens de subsistance alternatifs et emplois verts.

La recherche appliquée a un rôle important à jouer pour le développement local. Aussi, une grande importance est accordée à la modernisation des infrastructures de l’INERA ainsi qu’au renforcement des capacités locales.

Depuis la mise en place de ces programmes, les résultats sont tangibles : Yangambi abrite désormais la première tour à flux de covariance des turbulences du bassin du Congo, une structure qui vise à mieux comprendre la contribution des forêts à l’atténuation du changement climatique.

De plus, le premier laboratoire de biologie du bois d’Afrique centrale a été inauguré à Yangambi en 2019, permettant l’analyse sur place d’échantillons de bois pour améliorer les politiques de gestion durable des forêts du bassin du Congo. 

La bibliothèque de l’INERA et autres bâtiments ont accès à l’électricité pour la première fois depuis des décennies, et plus de 700 000 arbres ont déjà été plantés dans le but de restaurer les anciennes plantations d’hévéa et de palmier à huile qui étaient devenues des terres dégradées.

Les activités de recherche en cours comprennent : (1) un programme conjoint entre l’INERA et le Jardin botanique Meise pour étudier les espèces de café sauvage, (2) des dispositifs scientifiques en forêt gérées en collaboration avec le Musée royal de l’Afrique centrale qui permettent d’étudier le comportement des arbres face au changement climatique, (3) et des études menées par le CIFOR, l’UNIKIS et l’INERA sur les populations locales d’animaux sauvages pour comprendre les effets du commerce de la viande de brousse.

Yangambi : une nouvelle génération d’experts forestiers

Le chercheur Jonas Muhindo installe un piège photographique pour étudier la faune. Photo : Axel Fassio/CIFOR (2018)

Tous ces efforts, cependant, seront vains s’ils ne tendent pas vers l’amélioration des capacités de recherche en RDC. Yangambi a pour vocation de devenir un centre scientifique au service des chercheurs congolais.

Les initiatives de renforcement des capacités sont nombreuses, notamment la formation du personnel de l’INERA, des bourses pour les jeunes chercheurs pour étudier dans les universités congolaises et à l’étranger, le lancement de nouveaux programmes de coopération universitaire sud-sud, et le jumelage des scientifiques congolais avec des experts internationaux pour des projets de recherche conjoints.

Yangambi : une promesse pour l’avenir

La RDC a la chance de disposer d’une des plus grandes étendues de forêts tropicales intactes au monde et l’objectif de l’exposition Koyeba Yangambi est de présenter un nouveau rêve pour l’avenir de ces forêts.

Un rêve construit conjointement par les institutions congolaises, les partenaires internationaux et les habitants du paysage pour faire de Yangambi un modèle de développement durable.  

Retrouvez l’épisode 03 du Nouveau Congo podcast où nous revenions sur les enjeux liés à la viande de brousse avec les experts du CIFOR et de l’Université de Kisangani :

 

Ahtziri Gonzalez – Center for International Forestry Research (CIFOR)

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