La politique en RDC : une affaire d’Églises

par Sarah Tshal 4 Août 2021

En République Démocratique du Congo (RDC), la frontière entre les mondes politique et religieux est poreuse. À vrai dire, elle n’existe presque pas. Contrairement aux démocraties occidentales qui prônent la laïcité de l’État, en RDC la politique et la démocratie sont l’affaire de tous : religieux compris. Comment cela se passe-t-il ? Constat d’un imbroglio.

Ngoy Mulunda : le pasteur qui prêchait la sécession 

16 janvier 2021. C’est l’anniversaire de l’assassinat de l’ancien président Laurent Désiré Kabila. Un culte commémoratif est organisé à l’église Méthodiste Unie de Lubumbashi. 

La cérémonie est marquée par un sermon sulfureux du pasteur Daniel Ngoyi Mulunda qui prononce ces mots : 

« S’ils ne veulent pas que le Katanga se coupe, ils doivent respecter nos dirigeants, et plus particulièrement notre leader, le président honoraire et sénateur à vie, Joseph Kabila. »

Pasteur Mulunda, n’est pas un homme d’Église comme les autres. Il est dans la droite lignée d’un héritage politique congolais où des personnalités religieuses se voient régulièrement confier des fonctions politiques de premier ordre. Il a notamment présidé la Commission Électorale Indépendante (CENI), chargée d’organiser les élections présidentielles de 2011 et est réputé proche de l’ancien président Joseph Kabila. 

Accusé de séparatisme par les uns pour ses  propos, Mulunda est défendu par les autres au nom de la liberté d’expression. Finalement, il est arrêté par les services de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR). Deux jours plus tard, le procès s’ouvre. 10 jours plus tard, l’homme d’Église écope de 3 ans d’emprisonnement ferme. Le tout assorti d’une amende de 500 000 francs congolais (200 €) pour « incitation à la haine tribale, propagation de faux bruits et atteinte à la sûreté intérieure de l’État ».  Le problème qui préoccupe la justice (et l’opinion) congolaise dans les propos de Mulunda est le séparatisme. 

La constitution congolaise reconnaît à chacun de ses ressortissants le droit de manifester sa religion comme il le désire pour autant que cette manifestation n’enfreint pas l’ordre public et les bonnes mœurs. En tenant ces propos au nom de la liberté de culte et d’expression, le pasteur Mulunda a toutefois enfreint les lois encadrant l’atteinte à l’intégrité du territoire, et la diffusion de faux bruit – ce qui lui a valu sa condamnation. 

À aucun moment, l’opinion publique ou la justice congolaise ne se sont offusquées dans cette affaire de ce que Mulunda mêle religion et politique dans son prêche (ou dans sa vie en général). La laïcité de l’État n’est-elle pourtant pas inscrite dans la constitution ? 

Elle figure même dans l ’article premier de la constitution congolaise qui déclare que la RDC est :

« […] un État de droit, indépendant, souverain, uni et indivisible, social, démocratique et laïc ».

La laïcité de l’État est donc un principe fondamental et il est raisonnable d’affirmer que notre constitution est laïque bien que la population soit majoritairement chrétienne ( env. 93% de la population).

Tata Cardinal : au coeur des questions démocratiques congolaises

Il n’est pas rare de voir des personnalités ecclésiastiques occuper des fonctions politiques de premier ordre en RDC. 

Dans cette catégorie, la figure du cardinal Laurent Monsengwo qui est décédé le 11 juillet dernier ne peut être éludée. Cet octogénaire, un temps cité parmi les candidats potentiels à la papauté, a présidé la Conférence Nationale Souveraine puis le Parlement de transition entre 1992 et 1996

Comme l’abbé Malula avant lui, il a dénoncé en de nombreuses occasions les violations des droits humains du régime dictatorial du président Mobutu. Il a également dénoncé à maintes reprises les tentatives de troisième mandat de l’ancien président Joseph Kabila. C’est dans ce cadre qu’il a prononcé, après la répression violente par les forces de l’ordre des manifestations demandant la tenue d’élections présidentielles, la désormais célèbre formule :

« Il est temps que les médiocres dégagent et que règnent la paix et la justice en RDC ».

Plus récemment encore, celui connu de tous comme Tata Cardinal s’était distingué par son analyse des résultats de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 : il annonçait que l’opposant Martin Fayulu avait emporté le scrutin

À la suite de son décès, la population de Kinshasa – politiques, religieux et civils confondus – lui a rendu un hommage digne d’un homme d’État : procession et cortège ont suivi sa dépouille depuis l’aéroport de Ndjili à travers la ville le dimanche 18 juillet 2021.  

La CENCO : un poids dans l’équilibre des pouvoirs en RDC

Des organisations religieuses, comme la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), existent également. La CENCO est connue pour son travail dans le cadre des élections présidentielles mais aussi pour le rôle central qu’elle joue dans le système d’équilibre des pouvoirs en RDC. 

A quelques jours des élections présidentielles et législatives de 2018, le secrétaire général de la CENCO, Donatien Nshole rappelait que « l’Église ne doit pas être absente là où les gens souffrent. Et la vérité est que la souffrance et la misère de notre peuple est une conséquence de la mauvaise gouvernance ». La CENCO a ensuite accompagné ces élections avec une mission d’observation.  

En 2021, alors que la reconfiguration de la CENI est au cœur des débats, les relations entre les mondes politique et religieux ont une fois de plus été mises à l’épreuve. En effet, en RDC le président de la CENI est nommé par les huit confessions religieuses officiellement reconnues et ce choix est ensuite confirmé par l’Assemblée Nationale – c’est un processus déterminant pour la crédibilité des élections.

Dans le cadre des discussions menées par les confessions religieuses, la CENCO a refusé d’entériner la candidature de Denis Kadima, candidat plébiscité par les kimbanguistes mais estimé trop proche du pouvoir pour la CENCO et l’Église du Christ au Congo. La situation s’est dégradée rapidement dans les jours suivant ce refus et, le 1er août 2021, les catholiques ont eu à constater plusieurs actes d’intimidation et de vandalisme à l’endroit d’édifices catholiques ainsi que de la résidence personnelle du Cardinal Ambongo, archevêque de Kinshasa. Rapidement, les jeux d’accusations ont vu les doigts se pointer vers l’UDPS, accusée d’avoir tenu des propos incendiaires à l’égard de l’Eglise catholique et de son implication en politique

Ces événements et le processus même de désignation du président de la CENI confirment le rôle politique de la religion dans notre pays. L’Église catholique elle-même ne se cache pas du rôle politique qu’elle joue. Le Cardinal Ambongo affirmait à l’occasion des obsèques du feu Cardinal Monsengwo que « honorer la mémoire de Monsengwo, c’est aussi devenir artisan de l’instauration de l’État de droit »

Entre politique et religion, pas de frontière 

Il n’existe pas de frontière entre les mondes politique et religieux en RDC. Cela se constate jusqu’au sommet de l’État où le Président de la République entrant en fonction prête serment en jurant « solennellement devant Dieu et la nation » comme le commande l’article 74 de la constitution congolaise. Cette pratique confirme bien que la laïcité proclamée dans la constitution congolaise n’empêche pas la coexistence d’hommes d’État et d’Église au coeur de la scène politique. 

Dans un pays où les valeurs républicaines font défaut, les religieux ont pris l’habitude de s’insurger contre la misère, contre les injustices politiques, contre les violations des Droits de l’Homme et pour implorer le respect de la démocratie au nom des valeurs chrétiennes.  C’est ce que nous avons décrit ci-dessus dans les cas du Cardinal Monsengwo, de l’abbé Malula ou encore de la CENCO qui, en juin 2021, après sa 58eme assemblée plénière à Kinshasa, déclarait que :

« l’appareil judiciaire est exploité actuellement dans le but d’écarter les concurrents politiques. La justice est gangrénée par la corruption et instrumentalisée par le politique. »

Le constat est sans appel : la religion et la politique en RDC sont inévitablement liées et jouent des rôles complémentaires dans l’équilibre congolais pour le meilleur et pour le pire. 

Sarah Tshal

 

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