Le projet de loi de finances 2020 est-il démagogique ou ambitieux ?

par Igor Ntumba 18 Déc 2019

La formulation du budget est un élément central du processus d’élaboration des politiques publiques. En ce sens, nous ne pouvons faire l’économie de l’analyse du projet de loi de finances pour l’année 2020 déposé par le gouvernement devant la représentation populaire le 8 novembre dernier. 

Le projet de loi de finances 20201http://www.rfi.fr/afrique/20191109-rdc-projet-loi-finances-2020-milliards-assemblee , affiche l’ambition de doubler le budget de la République Démocratique du Congo. Pour son premier exercice budgétaire, le gouvernement Ilunga cherche à marquer les esprits. Bien conscient que les équipes gouvernementales précédentes se sont heurtées au plafond de verre que représente le seuil des 5 milliards de dollars de budget exécuté. Le budget pour l’année de 2016 s’élevait à 5,18 milliards de dollars, avant de chuter à 4,40 milliards en 2017. En 2018, les ressources publiques ont permis d’exécuter un budget estimé à 5,46 milliards de dollars par le FMI, contre 5,30 milliards prévisionnel sur l’année qui s’achève. 

L’ancien Premier Ministre Augustin Matata Ponyo, a demandé à ses gouvernements successifs de présenter devant les élus du peuple, des projets budgétaires très ambitieux, allant de 7 milliards à 9 milliards de dollars en fonction des années. Sans jamais parvenir à l’exécution complète des ambitions affichées. Le paradoxe Congolais (évaporation de la richesse créée), pourrait expliquer à lui seul le fait que la croissance économique plutôt encourageante des années Matata ne se soit jamais traduite par une augmentation significative des ressources budgétaires. Néanmoins une justification plus rationnelle sera développée plus loin. 

Le gouvernement actuel peut-il réussir là où tous les gouvernements précédents ont échoué ? 

Ambition ou Démagogie ? 

L’auteur de ces lignes préfère croire à une vraie volonté de changement au sein du nouvel exécutif plutôt qu’à une manœuvre dilatoire. Et propose des mécanismes qui permettraient d’accroître les recettes publiques. 

Améliorer l’absorption de l’Aide Publique au Développement

L’Aide Publique au Développement représente un puissant levier de lutte contre la pauvreté. Une comptabilité détaillée et exhaustive des apports de l’aide internationale est indispensable pour garantir la transparence nécessaire aux donneurs ainsi que pour s’assurer que l’aide soit bien dédiée au priorité de développement nationale. Cette traçabilité permettrait aux bailleurs de fond de rendre compte de l’utilisation des lignes budgétaires affectées au développement auprès de leurs contribuables.

Il s’agit de L’Allemagne, du Canada, des Etats-Unis, de la France, du Japon, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la Suède, qui sont les principaux contributeurs bilatéraux. Ainsi que de la Banque Africaine de Développement (BAD), la Banque Mondiale, la Commission Européenne, le Fonds Monétaire Internationale (FMI) et les Nations-Unies, au niveau multilatéral. Ces derniers accompagnent la RDC dans le cadre des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) avec comme grandes ambitions la promotion de l’autonomie des femmes, la lutte contre le VIH et l’éradication du paludisme, entre autres. 

L’ouverture d’une ligne de crédit via les bailleurs ci-dessus n’ouvre droit à un décaissement que dans le strict respect d’une procédure très normée. Inutile de préciser ici que les rétro commissions, et autres « coop » ne peuvent être tolérées. 

Pour maximiser l’absorption de l’aide internationale, la transparence et la reddition des comptes sont indispensables. En 2017, la ligne d’aide accordée à la République Démocratique du Congo s’élevait à 2 280 000 dollars. Le ministère du budget a comptabilisé, la même année, moins de 750 000 dollars au titre de l’aide publique au développement. La question de l’efficacité de l’absorption de l’aide devient primordiale.

Lors de son allocution devant la diaspora à Paris, Felix Tshisekedi, répondant aux critiques sur ses nombreux voyages annonçait avoir obtenu plus de 1,5 milliards de dollars de promesses en provenance des bailleurs de fonds internationaux. L’épineuse affaire autour du détournement présumé de 15 millions de dollars par son cabinet n’est pas de nature à garantir la transformation de ces promesses en dons.

 « Les recettes extérieures se chiffrent à 2.378,9 milliards de FC contre 1.161,0 milliards de FC prévus en 2019, soit un taux d’accroissement de 104,9%. Elles sont constituées des recettes d’appuis budgétaires de 843,7 milliards de FC et des recettes de financement des investissements de 1.535,3 milliards de FC. » 2https://www.budget.gouv.cd/wp-content/uploads/budget2020/projet/doc1_projet_loi_finances2020.pdf

Le budget 2020 prévoit un accroissement de 104% des recettes externes. Pour y parvenir il faudrait apporter plus de transparence dans la gestion des projets d’investissements publics en République Démocratique du Congo. Et cela reste un processus qui apporte des résultats sur une longue période. Selon une analyse du FMI publiée sur Bloomberg aucun pays au monde n’est parvenu à doubler ses recettes d’une année sur l’autre.3https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-12-06/imf-says-10-billion-congo-budget-unrealistic-as-mining-slows

Lever l’impôt 

L’Etat n’est pas un agent productif, et il a la lourde responsabilité d’assurer le bien-être de la collectivité.  Afin de promouvoir les politiques qui amélioreront la situation économique et sociale des administrés, les pouvoirs publics mènent des actions coercitives dans l’enceinte nationale de la circulation des richesses. C’est la levée de l’impôt.

Principale recette des nations, l’efficacité de la politique fiscale se mesure en rapportant le montant collecté sur une année auprès des ménages et des entreprises, à la richesse créée sur l’étendue du territoire. Le ratio recettes fiscales sur Produit Intérieur Brut (PIB) de la RDC, s’établit à 7,6%, il est l’un des plus faibles au monde. La France, championne du monde des prélèvements obligatoires, ponctionne 46% de la richesse produite sur son territoire. Les Etats-Unis, pourtant considéré comme une économie ultra-libérale affiche un ratio impôt/PIB de 27%. La moyenne pour les pays de l’OCDE est de 34%. Alors que les pays africains, très en retrait en recouvrement de l’impôt par rapport au reste du monde, récupèrent en moyenne 18% de la production nationale sous forme d’impôt.4https://www.oecd.org/fr/pays/republiquedemocratiqueducongo/statistiques-recettes-publiques-afrique-congo-rep-dem.pdf

Avec un niveau de prélèvement obligatoire aussi faible, l’Etat congolais ne peut être en capacité d’assurer ses missions régaliennes.

Pour l’exercice 2020, le Vice-Premier Ministre en charge du budget, Jean-Baudouin MAYO MAMBEKE, prévoit de doubler les recettes fiscales afin de porter le niveau de pression fiscale à 13,3% du PIB. Ainsi « Recettes des douanes et accises : 4.506,5 milliards de FC contre 2.645,4 milliards de FC retenus dans la Loi de finances de 2019, soit un taux d’accroissement de 70,4% », « Recettes des impôts : 6.046,9 milliards de FC contre 4.011,4 milliards de FC retenus dans la Loi de finances de 2019, soit un taux d’accroissement de 50,7% ». Les prévisions gouvernementales pour l’année prochaine anticipent une hausse des prélèvements sociaux de 69% « Recettes non fiscales : 2.040,4 milliards de FC contre 1.207,6 milliards de FC de la Loi de finances 2019, soit un taux d’accroissement de 69,0% ».

Ces anticipations surprennent d’autant plus que le surcroît de recettes devra se faire à périmètre constant. L’objectif de croissance du PIB est de 5.4% pour 2020. Dire que c’est là que le bât blesse serait un euphémisme.

Le gouvernement Ilunga justifie ses hypothèses audacieuses par « l’impact des nouvelles mesures fiscales et administratives, notamment l’application stricte de la réglementation en matière des exonérations », ou encore en comptant notamment sur « les mesures d’élargissement de l’assiette fiscale ainsi que de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales envisagées en 2020. »

L’audace du gouvernement Ilunga peut sembler assez naïve, au vu de la note du Fonds Monétaire International qui nous rappelle que les effets positifs de la mise en œuvre de ce type de mesures sont décalés dans le temps.

La politique fiscale du Congo est donc à reconstruire. En ce sens, le projet de loi de finances déposée devant la représentation populaire le 8 novembre dernier, se doit de coupler ses ambitions chiffrées à des recherches de ressources nouvelles. L’effet de levier pourrait-être tout à fait considérable.

La courbe de Laffer établi que l’efficacité fiscale est maximale lorsque l’assiette fiscale est très large et le taux d’imposition très faible. Autrement dit, le bon impôt est celui que tout le monde paie sans s’en rendre compte tant le montant pris individuellement par contribuable serait faible.

Des taxes spécifiques sur les boissons alcoolisées, les recharges téléphoniques, les carburants, à des taux inférieurs à 1% devraient s’inscrire dans ce schéma.

Sans donner une nouvelle orientation à sa politique fiscale, aucune des hypothèses du ministère du budget ne semble réalisable dans le courant de l’année 2020. Le rapport d’exécution de la loi de finances 2020, risque de voir s’effondrer le taux de réalisation budgétaire.

 Igor NTUMBA

 

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