Mobile Money en RDC : Etat des lieux (partie 1) 

par Maotela Kamangu 16 Fév 2022

Cet article est le premier volet d’une série de deux publications sur le mobile money en RDC. Il s’agit tout d’abord de dresser un état des lieux de l’industrie avant d’aborder dans la deuxième partie les perspectives d’avenir.  

En 2017, seuls 26% des Congolais âgés d’au moins 15 ans avaient accès à un des moyens de paiement traditionnels (Global Findex, 2018). Malgré l’immensité de son potentiel, la République Démocratique du Congo avance à petit pas dans le domaine de l’inclusion financière.  Elle enregistre  un des taux d’inclusion financière le plus  faible du monde.

Dans son rapport du troisième trimestre 2020, l’Autorité de régulation des postes et télécommunications, ARPTC en sigle, relative  au marché de la téléphonie mobile, l’ARPTC a recensé moins de 8 millions de souscripteurs en service de monnaie virtuelle sur une population congolaise estimée à 92 millions (INS, 2020). Les auteurs de ce rapport remarquent également  que le nombre de souscripteurs de ce service a baissé de 17,67% comparé au trimestre précédent. Ces chiffres sont à la fois une déception et le signe d’une immense opportunité de croissance pour le pays.

En neuf années de service en République Démocratique du Congo, le service de la monnaie virtuelle peine à atteindre la barre de 15 millions de souscripteurs, nombre que le M-Pesa Kenyan a franchi en moins d’une année. Ce succès a permis au Kenya d’accroître le taux d’usage des paiements virtuels de 7,5% en 2006 à 32,9% en 2013 (FinAccess, 2013).

Un autre regard froid sur les chiffres réalisés mondialement et les succès qui ont été enregistrés dans plusieurs pays africains, comme le Ghana ou l’Ouganda, dans ce domaine, nous obligent  à nous poser de nouvelles questions relatives aux faibles performances du service de la monnaie virtuelle en République Démocratique du Congo : quels sont les facteurs qui expliquent que la monnaie virtuelle, une des alternatives pour recruter les rejetés du système financier classique, avance à pas de tortue dans notre pays ?

Nous allons tenter d’y répondre en deux parties. En commençant par un tour d’horizon de l’adoption de la  monnaie virtuelle dans le monde, en Afrique et en RDC en particulier. 

Tour d’horizon historique

Traditionnellement, les banques commerciales, tout comme les établissements de microfinance, sont au centre de l’économie. Elles participent à collecter de l’épargne publique, et offrent, en retour, à leurs clients des moyens de paiement et d’autres services pour répondre à leurs multiples besoins.

Mais le système bancaire traditionnel continue d’exclure les plus pauvres avec des conditions d’accès souvent discriminatoires.  C’est pour pallier cette faiblesse que le paiement par monnaie virtuelle voit le jour en 2002.  Cette année-là, la première expérience mondiale d’un paiement par monnaie virtuelle est introduite par l’entreprise russe Yandex avec son service Yoo Money.

En Afrique, c’est  l’opérateur  Kenyan Safaricom qui tente l’innovation en 2007 avec son service M-Pesa. En  République Démocratique du Congo, il a fallu attendre le 20 mars 2012 pour qu’ Airtel SA devienne le premier opérateur à introduire ce service, airtel money, sur le marché.

Il existe plus de 310 services de  monnaie virtuelle enregistrés de par le monde avec plus de 1,2 milliards d’utilisateurs, dont 300 millions d’utilisateurs actifs, générant annuellement plus de 767 milliards de dollars américains, soit un trafic journalier de 2 milliards de dollars américains (GSMA, 2021).

L’Afrique produit, sur la même période, environ 500 milliards de dollars américains, soit $495 milliards en 2020, qui équivaut à 65% du revenu mondial (GSMA, 2021).

Tableau I : Mobile Money en Afrique (2020)

Source : GSMA (2021)

L’Afrique de l’Est reste le moteur de ce business en Afrique. Elle enregistre plus de la moitié des abonnées, soit 52%, et génère 55% du revenu africain dans ce secteur. A ce jour, au Kenya, il y a 65,26M d’utilisateurs et 273.531 agents actifs. Ils génèrent plus de 174,11 M de transactions par mois, qui correspondent à KSh 528 milliards, soit environ $5 milliard le mois (Kenya Central Bank, 2021).

Le succès de la monnaie virtuelle au Kenya trouve son essence dans la réglementation et d’autres facteurs économiques tels que le contrôle de l’inflation et l’introduction de nouvelles mesures incitatives sur l’interopérabilité et l’interconnexion des différentes plateformes de paiement. Quoiqu’ayant un taux de pénétration de la téléphonie mobile faible comparé à la Chine, au Kenya, les transactions via le portefeuille mobile et téléphone représentent 87% du PIB national (BCG, 2021).

L’exemple Kenyan renseigne qu’un cadre juridique souple et adapté aux  réalités locales peut aisément contribuer au développement du secteur du mobile money.

Le cas de la RDC

En République Démocratique du Congo, plusieurs textes juridiques encadrent le secteur du mobile money. L’autorité de régulation, la Banque Centrale du Congo, dans son instruction No.24 relatives à l’émission de la monnaie électronique et aux établissements de la monnaie électronique, greffe malheureusement les prestataires de  monnaie virtuelle aux établissements de crédit.

 Les conditions d’accès et d’exercice de l’activité d’émission de la monnaie électronique telles que définies dans l’instruction citée ci-dessus en ses articles 5 et suivants ne peuvent ni opérationnellement, ni techniquement inciter de nouveaux partenaires à investir dans ce secteur.

 Dans ce pays où la majorité des citoyens vivent dans les milieux ruraux, soit 55% de la population (Banque Mondiale, 2021), et dans lesquels les infrastructures de base sont quasi-inexistantes, la Banque Centrale du Congo devrait encourager la compétition en assouplissant ses mesures d’octroie d’agrément de la monnaie électronique afin de permettre à des structures de micro finances locales, aux capitaux limités, d’émettre et de distribuer de la monnaie électronique sans pour autant  leur exiger, en retour, un capital initial de 2,5M de dollars américains.

Tableau II : Service Mobile Money au Congo

Source : GSMA (2021)

La GSMA a pu dernièrement construire un indicateur pour mesurer la contribution de la réglementation dans l’essor de la monnaie virtuelle. Quoiqu’il soit une mesure composite, son interprétation, en profondeur, des différentes cibles utilisées permet aux pays concernés d’adapter leur cadre juridique aux besoins de leurs consommateurs.

Tableau III : Dimensions de la réglementation de la monnaie virtuelle au Congo.

Source : GSMA (2021)

Au regard du tableau ci-dessus, l’infrastructure technique, l’environnement des affaires et la protection des consommateurs devraient être améliorés. Aussi, les différentes instructions, comme mesures prises par la Banque Centrale du Congo dans ce domaine, souffrent cruellement dans ses applications.

L’interopérabilité et l’interconnexion des différents services de paiement telles que définies dans les lois N.003/2002 du 02/02/2002 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit peinent à être mises en application. A l’instar de favoriser la compétition, cette mesure salvatrice permettra aux utilisateurs de la monnaie virtuelle d’avoir accès à plusieurs offres, et éventuellement d’opérer des choix rationnels susceptibles de maximiser leurs usages, et de satisfaire leurs besoins.

Papy Maotela 

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