RDC : que vaut la vérité ?

par Milain Fayulu 13 Jan 2022

En novembre dernier j’ai eu l’honneur de dîner avec la lauréate du Prix Nobel de la paix 2021, Maria Ressa. En lui décernant ce prix, le comité a voulu alerter le monde sur la montée de la désinformation et de la manipulation médiatique. Ma conversation avec elle sur le sujet a inspiré ce texte sur la place de la vérité dans mon pays, la République Démocratique du Congo. 

Maria Ressa et Milain Fayulu le 17 Novembre 2021

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Commençons par des faits

10 Avril 1991. Hôpital Ngaliema. J’ouvre les yeux pour la première fois sur les rives du fleuve Congo. Je ne le sais pas à ce moment-là mais le Zaïre, déjà sous perfusion depuis des années, rentre dans sa phase terminale. L’appétit glouton d’un autocrate narcissique aveuglé par ses propres illusions, Mobutu, aura eu raison de ce grand corps malade au cœur de l’Afrique. 

À la veille du nouveau millénaire, une armada hétérogène pilotée de l’extérieur finit d’achever la bête. Nous sommes en 1997. Beaucoup de Zaïrois, redevenus Congolais entre-temps, poussent alors un soupir de soulagement. Hélas, de courte durée. Les nouveaux maîtres de Kinshasa ayant déjà pactisé avec le diable. Dans l’euphorie d’une prétendue libération, peu saisissent les enjeux. Les conséquences de la sous traitance de la conquête d’un pays continent n’intéressent que trop peu. Comble du drame, le chef rebelle à la tête de l’expédition et autoproclamé président de la RDC, Laurent Désiré Kabila, se rend compte, bien trop tard, qu’il a malgré lui dérogé à sa propre règle, « ne jamais trahir le Congo ». Le mal est fait. 

Les chiffres ne mentent pas 

Plus de vingt ans et une série de crises de légitimité plus tard, les statistiques résument à elles seules la tragédie congolaise. Le nombre de morts se compte en millions. Les politologues parlent du « conflit le plus meurtrier du 20e siècle après la seconde guerre mondiale ». 27 millions de congolais sont en situation d’insécurité alimentaire et 5 millions sont déplacés internes dans leur propre pays – seule la Syrie fait pire. La RDC est 175e sur 189 sur l’indice de développement humain (IDH) avec un score « inférieur à la moyenne des pays de l’Afrique subsaharienne ». Elle est également 170e sur 180 sur l’indice de la corruption publié par transparency international, soit une chute de 9 places depuis l’entrée en fonction d’un nouveau régime illégitime en janvier 2019. Bref, malgré le discours officiel qui tend au « changement de narratif », le pays va (toujours) mal. 

Mensonge et vérité 

A l’instar du Zaïre, il existe en RDC un gouffre entre le monde imaginaire décrit par les autorités de Kinshasa et la réalité des congolais. 

    • Education

      En matière d’éducation, le discours populiste promettant la gratuité de l’enseignement persiste. Pourtant, l’éducation demeure payante. Quand elle est effectivement gratuite, elle précarise les enseignants, mettant ces derniers face à des cas de conscience où les conditions de leur survie empiètent sur leur mission républicaine car ils ne sont pas payés par L’Etat.

    • Budget

      Au sommet de l’Etat, le locataire de la cité de l’OUA et ses conseillers saignent les finances publiques à blanc. En témoignent les dépassements budgétaires ahurissants de la présidence et le pourcentage du budget affecté au seul fonctionnement des institutions (77 % ). Le récit officiel parle lui d’une « réduction du train de vie de l’Etat ». 

    • Parlement

      Et que dire du Parlement ? Au lieu d’être le temple de la démocratie, il est gangréné par une meute de laquais illégitimes, champions toutes catégories confondues de la corruption. Là encore, le discours officiel tranche avec la réalité et on se demande s’il n y a pas in fine au Palais du Peuple une union sacrée contre la Nation. 

    • Stratégie économique

      Le détachement de l’élite politique face à la réalité met même en péril le potentiel que représente la révolution verte pour notre pays alors qu’il a un rôle crucial à jouer de par ses ressources minières notamment. La dichotomie entre la réalité et sa représentation par les dirigeants dans ce cas empêche l’éclosion d’idées novatrices et de stratégie nationale, favorise la médiocrité au détriment de l’excellence et renforce la misère dans laquelle vivent les Congolais.

Campagne de soutien au Dr. Mukwege lancé par la ville de Bruxelles en 2020

La vérité libère

Lors de son discours de réception du prix Nobel de la Paix à Oslo le 10 Décembre dernier, Maria Ressa a eu ces mots : « sans vérité il n’y a pas de confiance et sans confiance il n’y a ni réalité commune, ni démocratie… » avant de poser cette question sous forme d’interpellation, « qu’êtes-vous prêt à sacrifier pour la vérité ? » Avant de répondre à cette question, établissons ce qu’est la vérité. 

La définition philosophique de la vérité parle de « connaissance reconnue comme juste, comme conforme à son objet et possédant à ce titre une valeur absolue, ultime ». En d’autres termes, la vérité est ce qui est conforme à la réalité. Elle a donc un caractère objectif. Une objectivité consacrée par les nombreux indicateurs à notre disposition pour l’évaluer, comme ceux que nous citons plus haut. Pourtant, on constate en RDC une tendance quasi systématique au sein de l’élite politique à ignorer ou nier les faits qui sous tendent la vérité dès lors qu’ils ne cadrent pas avec la narration officielle ou les intérêts personnels de ces dirigeants. Cette obsession à vouloir masquer ce qui est vrai avec des récits fictifs (souvent sans la moindre substance empirique) contribue au sous développement chronique du pays. Les auteurs de ces fictions et ceux qui leur font écho sont selon moi un danger pour la République. 

Deux mondes coexistent en République Démocratique du Congo. Le premier, fictif, fait l’apologie décomplexée des anti-valeurs ou passe éhontément sous silence les faits qui dérangent. Les responsables de la déliquescence de l’État y sont érigés en héros par une meute de fanatiques ou de courtisans incapables de comprendre qu’ils sont eux-mêmes otages d’un avion en perte d’altitude piloté par des kamikazes. Le deuxième monde, empirique, est celui des statistiques évoquées ci-dessus. La réalité y est si dure qu’elle est devenue un chemin de croix pour les Congolais meurtris, entre autres, par la guerre et la pauvreté. 

Pour relever les innombrables défis auxquels notre pays est confronté, il nous faut une réalité partagée. Un monde. Pas deux. Autrement dit, il nous faut un ancrage collectif dans la vérité, aussi brutale soit-elle. Il faut replacer le débat rationnel et les faits au centre des échanges. Il faut revenir au règne de la logique et de la science et anéantir l’obscurantisme intellectuel qui a élu domicile dans notre pays. 

La RDC souffre d’un rapport biaisé à la vérité, ou en tout cas à la réalité, et c’est principalement la faute de son élite politique. Cela ne peut plus durer. 

La vérité mérite tous les sacrifices. 

Milain Fayulu

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