Politique énergétique : qui apportera la lumière en RDC ?

par Henriette Tidika 3 Août 2020

Il y a une double promesse constitutionnelle1L’Article 48 de la Constitution de 2011 prévoit que «Le droit à un logement décent, le droit d’accès à l’eau potable et à l’énergie électrique sont garantis. La loi fixe les modalités d’exercice de ces droits.» et électorale qui, bien que jamais tenue, m’a souvent fait plisser les yeux face à mes devoirs de classe dans mon adolescence à Kinshasa et maudire la Société Nationale d’Electricité (SNEL) : celle de fournir de l’électricité à tous les Congolais. Vous me direz, je ne suis pas la seule Congolaise dans ce cas puisque seuls 9 à 16% de la population congolaise, selon les estimations, a accès à l’électricité sur toute l’étendue d’un territoire national de 2 345 410 km².

Les besoins énergétiques de notre pays sont énormes. Un rapport conjoint de 2013 du Programme des Nations Unies pour le Développement et de l’Etat congolais prédit que la consommation d’électricité en RDC sera d’environ 149.528.000 MWh en 20302Rapport National « Energie durable pour tous à l’horizon 2030 », Sustainable Energy For All, Programme des Nations Unies pour le Développement et l’Etat Congolais, Août 2013 si l’accès universel à l’électricité est garanti à la population (sur base d’une population estimée à 143 millions d’habitants en RDC en 2030). La puissance totale actuellement installée étant estimée à 2.677 MW et la capacité en fonctionnement étant estimée à 1.130 MW, l’écart à combler est gigantesque. Pour atteindre les 32 965 MW de capacité installée dont le pays aurait besoin en scénario d’électrification universelle en 2030, il faudrait multiplier la capacité déjà installée par environ 12,7.

Tous les signes portent pourtant à croire que l’accélération de l’électrification à l’échelle nationale est une priorité pour le pays. En 2014, la RDC a libéralisé le secteur de l’électricité, permettant ainsi aux acteurs privés de prêter main forte à la SNEL. En 2018 aux assises sur l’électricité, les décideurs ont fait part des axes prioritaires pour le développement de la politique énergétique du pays. Et en 2019, plusieurs projets de centrales électriques et de lignes de transmission figuraient au programme des cent jours du président Tshisekedi.

Dans une série d’articles publiés sur IntelCongo, nous tenterons d’identifier et de comprendre ce que font les différents acteurs du secteur.

Le cadre légal

Depuis 2014, la SNEL ne jouit plus d’un monopole de fait dans la production, le transport et la distribution de l’électricité en RDC. En effet, la loi No 14/011 du 17 juin 2014 relative au secteur de l’électricité (à consulter ici) donne à tout opérateur le droit de produire, transporter, distribuer, importer, exporter et commercialiser l’électricité à travers le pays. 

En somme, la Loi de 2014 promeut particulièrement les partenariats public-privé et les investissements privés et, se faisant, permet à la RDC de rejoindre un grand nombre de pays où les projets d’électricité et d’infrastructure sont financés par le secteur privé. Si la SNEL fournit toujours plus de 90% de l’électricité du pays, c’est une situation qui est amenée à changer grâce au nouveau cadre légal et réglementaire instauré par cette loi. 

Pour mieux comprendre les enjeux de l’ouverture du secteur de l’électricité aux opérateurs privés par la Loi de 2014, il faut connaître les différents aspects de celui-ci. En effet, le chemin entre une centrale électrique et nos usines ou nos maisons se parcourt en plusieurs étapes : il y a la phase règlementaire, la construction des centrales électriques qui vont générer de l’électricité (ainsi que leur financement, privé généralement), la génération de l’électricité, la transmission de l’électricité d’un point A à un point B et, enfin, la distribution de l’électricité aux consommateurs.

Centrales hydroélectriques à Kinsuka, Kawa et Sombwe : Les grands projets indépendants de production d’électricité

A ce jour, les opérateurs privés du secteur en RDC interviennent principalement dans la deuxième phase – c’est-à-dire, la phase de génération de l’électricité. Les projets majeurs en cours de développement, autre que le barrage d’Inga, sont ceux de Kinsuka, Kawa et Sombwe. 

A 25 kilomètres environ de Kinshasa se trouve l’un des grands projets de centrale électrique en cours. C’est celui de la société Great Lakes Energy en partenariat avec la société chinoise, Power Construction Corp. of China, à Kinsuka, au bord du fleuve Congo. La capacité de production d’électricité de ce projet étant estimée à 900 MW et le coût de sa construction (centrale de génération et lignes de transmission vers les mines du Sud-Est du pays) s’élevant à près de 3 milliards de dollars américains, le projet de Kinsuka est aujourd’hui le plus ambitieux des projets indépendants de production d’électricité depuis la libéralisation du secteur en 2014. 

Ce projet pourtant ne viendra pas changer radicalement la vie des Kinois qui habitent à quelques kilomètres à peine des futures turbines. Car si une minorité de l’électricité produite est prévue pour la SNEL, les acheteurs principaux de l’électricité générée à Kinsuka seront des grandes sociétés minières à travers le pays.

Au Lualaba, un autre projet indépendant d’électricité est en cours de construction : les centrales hydroélectriques aux chutes de Kawa et de Sombwe avec une capacité de 150 MW. Ce projet, comme celui de Kinsuka, est développé en partenariat par une société congolaise (Kipay Investments) et la société chinoise Power Construction Corp. of China, qui est aussi en charge de la construction du projet. Le coût de la construction de cette centrale ainsi que des lignes de transmission vers le réseau de la SNEL et certaines sociétés minières de la région est estimé à plus de 400 millions de dollars, financés à 70% par de la dette. Si l’électricité produite à Kawa et Sombwe sera principalement destinée à des acheteurs miniers, une partie sera également vendue à la SNEL pour distribution à des particuliers. 

Parce que le régime est libéralisé en RDC, la production de l’électricité est un business (presque) comme les autres. C’est-à-dire que c’est un secteur où les producteurs d’électricité indépendants sont incités à construire et exploiter des centrales électriques pour des raisons principalement économiques. 

Les projets de production d’électricité requièrent un niveau d’investissement très élevé et sont financés puis opérés selon des accords souvent complexes (l’accord principal étant généralement un contrat d’achat d’électricité, plus connu sous son appellation en anglais “power purchase agreement”). Comme c’est le cas pour les centrales de Great Lakes Energy et Kipay Investments, les acheteurs de l’électricité peuvent aussi bien être des sociétés privées (e.g., des sociétés minières) qu’une compagnie d’électricité nationale, comme la SNEL en RDC. 

Ainsi, et parmi d’autres considérations, les développeurs de ce type de projet chercheront à s’assurer (i) que le prix et la quantité d’électricité qu’ils vendront au terme d’un PPA sont avantageux et (ii) que l’acheteur est capable de s’acquitter de ses obligations de paiement pendant la durée du contrat. Une vente d’électricité à un acheteur étatique, comme la SNEL, ne ferait pas exception. Il en va de la rentabilité, bancabilité et même, durabilité, des projets indépendants de production d’électricité à travers le pays, comme ceux de Kinsuka, Kawa et Sombwe.

Les intérêts du secteur privé et du secteur public en matière d’électricité ne sont donc pas les mêmes et en assurer l’équilibre est un travail essentiel. En RDC, ce travail revient à l’Autorité de Régulation du secteur de l’Électricité (ARE) – une organisation qui ne devient opérationnelle que cette année (malgré sa création prévue au titre de la loi de 2014) avec la nomination à sa tête du Dr. Sandrine Ngalula Mubenga en juillet 2020. L’heure est donc à l’attente en ce qui concerne la régulation du secteur, ô combien stratégique, qu’est celui de l’électricité en RDC. 

Fiat lux et facta est lux3Locution latine : “Que la lumière soit, et la lumière fut”

Dans un prochain article, nous reviendrons sur le rôle de l’Etat et de la SNEL dans la mission d’électrification du pays. Notons toutefois déjà, qu’en RDC, certains projets de production d’électricité impliquant un ou des actionnaire(s) étatiques, destinent eux aussi leur électricité en priorité aux mines et non aux populations. C’est notamment le cas de la centrale hydroélectrique de Busanga au Lualaba. Ce projet emblématique de la coopération sino-congolaise (avec une puissance estimée à 240 MW) qui a pour objectif de desservir en priorité la Sicomines et qui aujourd’hui, élevé pourtant au rang de « projet essentiel » par le président Tshisekedi en 2019, est surtout associé aux mille voix des villageois déplacés pour sa construction et qui réclament de plus justes indemnisations. 

Les Congolais resteront-ils au coeur des ténèbres ? Peut-être. La première parole du Seigneur dans la Bible, “que la Lumière soit et la Lumière fut”, est en tout cas tombée dans de bien sourdes oreilles car, ce soir encore, la majorité des Congolais mangeront dans le noir.

Henriette Tidika

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