Plaidoyer pour un cobalt qui profite aux Congolais

Advocating for cobalt that benefits the Congolese people 

par Milain Fayulu 23 Juil 2020

La République Démocratique du Congo (RDC) produit 60% du cobalt mondial. Elle détient 34% des réserves de ce métal “stratégique” qui s’échange actuellement à près de 30.000$ la tonne sur le London Metal Exchange. A l’aube d’une révolution verte où la demande pour le minerai s’accélère, quelle part de cette manne verront les Congolais ?  

Extrait dans des conditions souvent difficiles, le cobalt congolais prend généralement la direction de la Chine qui détient à elle seule 80% des capacités mondiales de raffinage . Une fois traité, il se retrouve dans des usines de composants électroniques ou de batteries en Corée du Sud et au Japon. Il entame dès lors un dernier voyage qui le mène vers l’Europe et les États-Unis où il est intégré dans l’assemblage de produits tels que les véhicules électriques Tesla ou les iPhones Apple. 

Si en aval de la chaîne les acteurs se frottent les mains, en amont, en RDC, la réalité est tout autre. L’exploitation locale est conflictuelle et précaire, surtout pour les communautés qui extraient le minerai artisanalement, à la main ou à la pelle. Elles coexistent difficilement avec les compagnies minières étrangères et peinent à tirer le juste profit de leur dur labeur. S’ajoutent à cela des tensions intercommunautaires entre autochtones et migrants, la faiblesse de la gouvernance étatique et la corruption.  

Conscients de cette dichotomie, les creuseurs artisanaux n’ont de cesse de réclamer un accès plus équitable aux concessions, presque exclusivement octroyées aux industriels. Cet accès asymétrique est source de conflits, parfois meurtriers. Les incidents de juillet 2019 où l’armée a été déployée pour expulser 10.000 creuseurs illégaux des mines de KCC (Glencore) et Tenke Fungurume (China Molybdenum) illustrent la problématique et la nécessité de formaliser la filière artisanale. D’autant plus qu’elle génère 20% de la production nationale. 

Si quelques pistes sont avancées publiquement elles restent incomplètes et ne font pas consensus. Par exemple, un décret de 2019 propose que la Gécamines, l’entreprise minière nationale, ait l’exclusivité de l’achat de la production artisanale. L’idée serait de rémunérer équitablement les creuseurs et de permettre à l’Etat d’influer sur le cours du métal. Cependant, dans la pratique cette exclusivité risque d’avoir l’effet inverse compte tenu du flou qui entoure les modalités de financement d’achat de la production. Autre problème, le décret porte uniquement sur la demande sans adresser les failles systémiques dans les conditions de l’offre. 

Même des initiatives internationales visant à accroître la transparence peuvent s’avérer contre productives dans la pratique. C’est le cas par exemple de la section 1502 du Dodd Frank Act américain ou de la directive de l’OCDE sur le ‘devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque’. Leur application stricte par les entreprises tend à écarter les fournisseurs dont l’origine du cobalt est opaque, ce qui a pour résultat indésirable de court-circuiter la filière artisanale, soit 10 millions de personnes vivant de cette dernière en RDC ou 16% de la population

Le dilemme est réel. D’un côté la sensibilité des opinions occidentales, de l’autre, la subsistance de millions de Congolais. Toutefois, les grands groupes eux semblent avoir trouvé la parade. En témoigne le récent contrat d’approvisionnement passé entre Glencore et Tesla. Concrètement, le fabricant automobile américain se lave les mains du problème de traçabilité du cobalt congolais (qui lui vaut des ennuis judiciaires)  en s’approvisionnant directement auprès de Glencore. Glencore quant à lui, consolide son hégémonie sur le secteur et réalise un joli coup de relation publique en s’imposant comme l’un des rares fournisseurs “propre” (selon la directive de l’OCDE). Ce alors même que l’entreprise est visée par plusieurs enquêtes pour corruption. Comme c’est souvent le cas, c’est au bas de l’échelle que les conséquences seront le plus remarquées, les creuseurs se retrouvant marginalisés.

Au vu de ce qui précède il est évident que l’Etat failli à sa mission de redistribution des richesses. En l’espèce, la région minière du Katanga d’où provient principalement le cobalt s’apparente plus à une entreprise privée du clan de l’ex Président Joseph Kabila qu’à un modèle de gouvernance et de régulation comme l’a démontré un récent rapport de Global Witness. A l’instar du gouvernement central de Kinshasa, les autorités provinciales sont généralement corrompues et ne disposent pas de l’expertise nécessaire pour mener à bien des politiques fiscales responsables ou pour concevoir des plans de développement communautaire. Ce déficit de leadership favorise la toute-puissance des multinationales, les conflits, la pauvreté et la dégradation environnementale. 

Afin d’y remédier, il est impératif que la RDC se dote d’un gouvernement central légitime. Fort de cette légitimité et libre des contraintes inhérentes aux arrangements politiques, pareil gouvernement devrait nommer un technocrate aguerri au ministère des mines. Dans la même veine, les assemblées provinciales des régions du Tanganyika, Haut-Lomami, Lualaba et Haut Katanga  (pour ne nommer que celles-cis) devront élire à leur tête des gouverneurs  compétents qui auront à cœur de dépolitiser la filiale et mettre sur pied des structures administratives présidées par des acteurs expérimentés et intègres. Ces derniers auraient la responsabilité de créer un environnement où les industriels coexistent harmonieusement avec les creuseurs artisanaux. Cette harmonisation passerait obligatoirement par la formalisation de l’activité des creuseurs et la création de zones d’exploitation minière artisanale. 

Aujourd’hui la littérature des organisations non gouvernementales au sujet du cobalt est principalement axée sur la  “réduction de conflits”. De récents rapports comme celui du International Crisis Group ou de Benjamin Sovacool de l’Université d’Aarhus au Danemark préconisent un système “compact” où les creuseurs artisanaux seraient intégrés dans le processus des industriels. Cette approche a le désavantage de subjuguer les petits creuseurs aux multinationales qui n’ont aucun intérêt à voir ces derniers se développer et mécaniser leur production sur le long terme. Il faudrait un changement plus transformationnel avec la mise en place d’un environnement qui offre aux petits creuseurs et aux petites compagnies locales l’opportunité de se développer à l’abri des géants étrangers. Le chercheur Ben Radley a démontré de manière empirique les bienfaits pour l’économie locale d’une telle approche.

Bien évidemment pour matérialiser cela, l’Etat devra s’investir et fixer un cap. Sans un encadrement efficace de l’industrie minière, les différents pôles qui la constitue continueront à opérer de manière ad-hoc, privilégiant leurs intérêts personnels au détriment du bien commun. Certes, un assainissement général du secteur minier ferait de nombreux perdants compte tenu du clientélisme qui caractérise le secteur actuellement, mais une telle rationalisation est nécessaire pour enclencher une dynamique vertueuse. C’est à ce prix-là que les Congolais bénéficieront enfin de leur cobalt. 

Milain Fayulu

The Democratic Republic of Congo (DRC) produces 60% of the world’s cobalt. It also holds 34% of reserves of this “strategic” mineral which trades roughly at $30,000 per ton on the London Metal Exchange. On the eve of a green revolution where demand for the mineral is accelerating, what part of this windfall will the Congolese see? 

Extracted in conditions that are often difficult, Congolese cobalt is generally sent to China who single handedly holds 80% of the global refinery capacities. Once refined, cobalt is used in electronic component or battery factories in South Korea or Japan. From there, it embarks on a final journey that takes cobalt to Europe and the United States where it is integrated in the assembly process of goods such as Tesla electric vehicles or Apple iPhones. 

The contrast between the downstream players, ripping obvious benefits out of Congolese cobalt, and the upstream players in the DRC, is stark.  Local exploitation is precarious and a source of conflict, especially for communities who mine cobalt artisanally, by hand or with shovels. These communities painfully coexist with foreign mining companies and struggle to earn fair compensation for their arduous labor. Internal tensions among native and migrant communities, weak state governance and corruption further compound these issues. 

Aware of this dichotomy, artisanal miners routinely argue for greater access to mining concessions, which are almost exclusively awarded to large scale miners. This asymmetric access to mining concessions is a source of sometimes deadly conflict. The July 2019 incidents where the army was deployed to expel 10,000 illegal miners from the KCC (Glencore) and Tenke Fungurume (China Molybdenum) mines illustrate the problem and the necessity to formalize artisanal mining. It is all the more important given artisanal mining accounts for 20% of national output. 

Though some fixes have been floated publicly, they remain incomplete and are not consensual. For example, a 2019 decree proposes that the state mining company, Gecamines, be the exclusive purchaser of the country’s artisanal production. The idea is to fairly compensate miners and allow the State to influence the market price of the metal. However, in practice, such exclusivity risks leading to adverse outcomes especially given the opacity around financing mechanisms for the purchase of the production. Furthermore, the decree chiefly focuses on demand without addressing the systemic issues of the supply side. 

Even international initiatives aimed at improving transparency can prove counterproductive in practice. It is the case with section 1502 of the Dodd Frank Act or the OECD’s ‘due diligence guidance for responsible supply chains of minerals from conflict-affected and high risk areas’. Their strict application by companies tends to eliminate suppliers with opaque traceability, de facto cutting out artisanal miners from global markets. That represents 10 million Congolese or 16% of the country’s population

The dilemma is real. On the one hand, the sensibility of Western opinions, on the other, the livelihood of millions of Congolese. Yet, multinationals seem to have found a workaround. The recent deal between Glencore and Tesla evidences that. In practical terms, the American car manufacturer circumvents the delicate Congolese traceability problem (for which it’s being sued) by dealing directly with an industrial miner, Glencore. Glencore in turn consolidates its hegemony over the sector and lands a public relation victory, asserting its status as one of the few “clean” suppliers, as per OECD guidelines. This, despite the fact that the Swiss-based commodities trader is under investigation for alleged corruption. As is often the case, the consequences will be most clearly felt at the bottom of the scale, resulting, in this case, in the marginalization of artisanal miners. 

Based on the foregoing, it is evident that the State is failing in its core mission of wealth redistribution. In fact, in its current form, the Katanga mining belt where the cobalt originates looks more like a private enterprise of former President Joseph Kabila and his clan than a model of governance and regulation as demonstrated by Global Witness in a jaw-dropping report. Indeed, similarly to the central government in Kinshasa, the provincial authorities are widely corrupted and lack the expertise necessary to carry out sound fiscal policy or design smart community development plans. This leadership deficit creates a vacuum that empowers multinational corporations, fuels conflicts and poverty and accelerates environmental degradation. 

In order to remedy the situation, it is imperative for DRC to get a legitimate central government. Such a government should be free of power-sharing deals that inherently limits it and should nominate a technocrat with a solid track record at the helm of the ministry of mines. In the same spirit, the provincial assemblies of Tanganyika, Haut-Lomami, Lualaba and Haut-Katanga (to name a few) should elect governors who strive to depoliticize the sector and to set up strong regulatory bodies headed by competent and experienced public servants. The latter would have the responsibility to create an environment in which large-scale miners and artisanal and small-scale miners can coexist in harmony. Such harmonization would necessarily require the formalization of artisanal mining and the creation of artisanal mining zones. 

Today, current literature from non-governmental organizations with regards to cobalt is mainly concerned with “conflict resolution”. Recent reports from the International Crisis Group or from Benjamin Sovacool of the University of Aarhus in Denmark advocate for a “compact” system where artisanal miners are integrated in the large mining companies’ operations. The problem with this approach is that it subjugates small miners to multinationals who have no interest in seeing them develop and eventually mechanize their production in the long run. What is needed is transformative change through which an ecosystem that allows small-scale miners an opportunity to thrive, sheltered from large-scale foreign miners, is created. The LSE researcher Ben radley empirically proved the benefits of such an approach for the local economy. 

Undoubtedly, in order for that vision to materialize, the State would need to commit to ambitious objectives. Without effective regulation of the mining industry, different poles along the value chain will keep operating on an ad-hoc basis, prioritizing their own self-interest at the expense of the public good. It is certain that the current beneficiaries of the clientelist system will lose their footing as a result of an industry-wide reform, but such reform is necessary to trigger a virtuous dynamic. This is the price to pay for Congolese people to benefit from their cobalt, at last. 

Milain Fayulu

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