RDC : 27 ans d’horreur

par Igor Ntumba 28 Avr 2020

Depuis 1993, de graves violations des droits de l’Homme et du droit humanitaire international sont commises en République Démocratique du Congo (RDC). Dans l’indifférence générale, la terreur y a élu domicile. Cet article retrace 27 années de souffrance du peuple congolais.

27 ans de souffrances; beaucoup trop pour une génération sacrifiée au nez et à la barbe des Nations-Unies, une génération dont les souffrances ne font que croître.

Jamais le monde moderne n’avait fait l’expérience, sur une aussi longue période, d’une barbarie meurtrière d’une telle intensité.

Les maux de la République Démocratique du Congo ne se comptent plus :

    • Crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide, violences sexuelles, recrutement et utilisation d’enfants soldats, pillage de biens indispensables à la survie des populations civiles, et autres actes inhumains.
    • L’exploitation des ressources naturelles du sous-sol congolais est la cause principale de la souffrance du peuple congolais. Faisant fi du droit international, des contrats illégaux alimentent le trafic d’armes et assurent l’approvisionnement des seigneurs de guerre.
    • La justice congolaise est aux abonnés absents, elle n’offre aucune perspective de réparation aux victimes. Pendant ce temps, l’impunité généralisée encourage les architectes de la terreur dans leur folie meurtrière.
    • L’échec de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation du Congo (MONUSCO) est sans appel et montre l’impuissance de la communauté internationale.

En RDC, un pays de près de 90 millions d’habitants, chaque individu a une expérience de souffrance ou de perte à partager. En 2020 encore, le peuple étouffe dans un cycle de violence qui pèse de tout son poids sur son bien-être.

Alors, pour comprendre la crise congolaise actuelle, il faut revenir sur l’histoire de ces 27 dernières années.

1993 : la Genèse de l’Apocalypse

Mars 1993, début de la période la plus tragique de l’histoire récente de l’humanité et de la RDC en particulier.

L’année 1993 marque le point de départ d’une série de crises politiques aux conséquences désastreuses. Depuis 1990 déjà, les conférences nationales tenues dans quelques pays d’Afrique Subsaharienne, dont la RDC (Zaïre à l’époque),  ont  permis d’accélérer le multipartisme naissant. Malheureusement, plusieurs gouvernements issus de ces conférences nationales souveraines se sont révélés inefficaces permettant ainsi aux dictateurs de récupérer le pouvoir presque partout. 

Le repli identitaire commandité par les gouverneurs de provinces, n’épargne en cette année 1993 ni le Katanga, ni le Bas-Zaïre (actuel Kongo Central), ni le Kasaï, ni le Maniema, ni même Kinshasa la capitale.

Au Katanga, le Gouverneur Kyungu wa Kumwanza lance un appel aux katangais, leur demandant de chasser tous les kasaïens de la Gécamines. Cette campagne de persécution aurait fait plus de 1.500 victimes et plus de 130.000 kasaïens auraient alors été refoulés de Kolwezi parmi lesquels au moins 80 000 enfants. 

Le scénario est le même au Bas-Zaïre, le Gouverneur Biya Mbaki appelle les populations à se débarrasser de tous les non-autochtones.

En 1994, la crise politique au Zaïre, exacerbée par le manque de légitimité du Président Mobutu, conduit à la désignation d’un Premier Ministre de consensus (Léon Kengo wa Dondo), ainsi qu’à la mise en place d’un parlement de transition.

C’est dans ce contexte de crise politique et de violence tribale créée par le pouvoir en place et après des mois de paralysie institutionnelle, que 1,5 million de réfugiés (majoritairement hutus rwandais) trouvent refuge dans la région du Kivu au lendemain du génocide des tutsis au Rwanda (1994).

L’arrivée massive des réfugiés hutus rwandais à l’Est de la RDC sonne le glas du régime Mobutu et augure une période de déstabilisation de la RDC. A partir de 1995 le régime zaïrois est à bout de souffle face à l’assaut des rebelles de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL) qui bénéficient du soutien des autorités rwandaises, burundaises et ougandaises. Plusieurs spécialistes de la région des Grands Lacs évoquent la complicité de certaines multinationales et même des pays occidentaux.

La guerre de 1996 et le régime AFDL

En 1996 commence la guerre qui sera connue sous le nom de la première guerre du Congo. Une guerre qui s’achève plus ou moins avec l’arrivée au pouvoir de Laurent Désiré Kabila qui, le 25 mai 1997, à Kinshasa, s’autoproclame Président de la République avant de rebaptiser le pays « République Démocratique du Congo ».

Il nomme alors James Kabarebe (officier de l’armée rwandaise) en qualité de chef d’état-major de l’armée congolaise. Il deviendra plus tard ministre de la Défense du Rwanda entre 2010 et 2018. En 1997 et 1998, les rwandais opèrent une infiltration de l’armée congolaise jusqu’au plus haut niveau de son commandement.

Dès la fin 1997, quelques mois à peine après l’installation de Laurent-Désiré Kabila au pouvoir, ses relations avec le Rwanda et les militaires tutsi présents au sein des forces armées congolaises se dégradent.

En juillet 1998, Laurent Désiré Kabila relève James Kabarebe de ses fonctions de chef d’état-major et ordonne le départ des militaires rwandais présent au Congo.

En réaction, le 2 août 1998, les militaires tutsi des FARDC se mutinent et lancent une rébellion avec l’aide des armées rwandaises, ougandaises et burundaises, sous la bannière du RCD. Il s’en suit une période de déstabilisation du pays sans précédent.

Plusieurs groupes armés soutenus par des armées étrangères voient alors le jour dans toutes les provinces du pays. Les forces armées du Zimbabwe, de la Namibie et de l’Angola combattent aux côtés de l’armée congolaise en plus de plusieurs groupes miliciens face aux forces armées ougandaises, rwandaises et burundaises.

Cette guerre, qui pourrait être qualifiée de Troisième Guerre Mondiale mais qui est connue comme étant la “Première Guerre Mondiale Africaine“, se déroule sur le sol congolais et implique pas moins de 8 armées nationales et 21 milices.

Le 16 juin 2000, le Conseil de Sécurité de l’ONU, dans sa résolution 1304, demande à toutes les parties de cesser les combats et exige que le Rwanda et l’Ouganda se retirent du territoire congolais dont ils ont violé la souveraineté. Il n’en sera rien.

Il faudra attendre les accords de Pretoria avec le Rwanda et les accords de Luanda avec l’Ouganda pour que soit amorcé le retrait des troupes de ces deux pays.

Le 16 Janvier 2001, Laurent Désiré Kabila est assassiné dans des circonstances non élucidées à ce jour et son fils, Joseph Kabila, prend la relève à la tête de l’Etat. Cette passation de pouvoir précède la tenue du dialogue intercongolais de Sun City qui conduit à la signature d’un accord de partage du pouvoir entre les différents belligérants le 17  décembre 2002. Une paix précaire s’installe. 

Les conclusions de la guerre

Durant et après cette guerre, de nombreux rapports de l’ONU sur la situation en RDC ont mis en exergue l’implication directe d’États tiers dans des violations sérieuses à l’encontre de civils congolais.  Joseph Kabila  a affirmé le 29 juillet 2012 que la présence de militaires rwandais dans l’Est de la RDC est un secret de polichinelle.

De cette guerre nous ne nous souviendrons pas seulement du jeu politique que les milices et les Etats ont joué, mais nous nous souviendrons surtout que la population civile a été victime de graves violations des droits de l’homme sur toute l’étendue du territoire congolais. Aucune région de la RDC n’a été épargnée par la folie meurtrière.

La question qui s’impose alors est celle-ci : la guerre du Congo est-elle réellement terminée ?

Les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU concernant la RDC sont violées à répétition au vu et au su de tous. Aujourd’hui, nous appelons le Conseil de Sécurité de l’ONU à prendre des mesures drastiques : le Rwanda et l’Ouganda doivent être purement et simplement sanctionnés au nom de leur non respect des résolutions de l’ONU, des règles élémentaires de droit international ainsi que de la dignité humaine du peuple congolais. A cet effet, une décision de la cour internationale de justice de 2005 a jugé “l’Ouganda responsable d’actes de pillage en RDC”. Bien que ce soit un pas dans la bonne direction, il faut aller plus loin et identifier les responsables et les juger ainsi qu’obtenir une condamnation par la même cour du Rwanda. Aussi, le gouvernement congolais doit cesser de faire traîner en longueur la procédure sur les dédommagements qui lui sont dûs.  

A cet effet, nous nous faisons l’écho des appels répétés du Prix Nobel de la Paix, le Dr. Denis Mukwege, qui milite pour que le rapport mapping soit sorti des tiroirs et que chacun soit mis face à ses responsabilités. Car, dit-il, “il n’y a pas de paix sans justice”.

2006 – 2011 : Échec du processus de démocratisation

Le dialogue intercongolais de Sun City en 2002 a suscité une espérance avec un compromis historique débouchant sur un gouvernement d’union nationale. Ce dialogue représentait pour la RDC une nouvelle ère d’un processus de démocratisation qui avait pour objectif l’instauration de la paix et l’organisation d’élections transparentes et apaisées avec le soutien de la Mission de Nations-unies au Congo (MONUC), après l’adoption par voie référendaire d’une nouvelle Constitution.

Les échecs de ce processus sont cuisants :

Premièrement, il faut noter l’échec de la réunification de l’armée défendue à Sun City. Dès le départ, les milices du RCD et du MLC sont intégrées au sein des Forces Armées de la République Démocratique du Congo tandis que l’intégration est refusée aux anciennes forces armées zaïroises. Aujourd’hui, l’armée congolaise n’a pas changé car aucun brassage digne de ce nom n’a été opéré. L’armée dans sa configuration actuelle n’est qu’une superposition de milices

Deuxièmement, l’échec du processus électoral de 2006 n’a pas répondu aux exigences du peuple congolais. Pourtant, les Congolais ont fait preuve de maturité durant toute la période électorale en se rendant aux urnes pacifiquement, malgré la campagne de déstabilisation à l’Est menée par Laurent Nkunda et les violations des standards électorales généralement admis par la communauté internationale.

Dès 2006, les observateurs de la Fondation Carter, de la MONUC et de la CENCO, ont dénoncé des irrégularités constatées dans la préparation des élections du 30 Juillet 2006 et l’UDPS, parti du principal opposant de l’époque, Etienne Tshisekedi, a appelé au boycott.

Mais les élections dérapent et Joseph Kabila est déclaré vainqueur au second tour. Il  ordonne le bombardement de la résidence de son adversaire, Jean-Pierre Bemba. Durant les longues journées du 22 et 23 mars 2007, les Kinois assistent impuissants à des combats de rue entre des éléments du MLC et les FARDC et aux incendies des chaînes de télévision de Bemba.

Avec cette première crise électorale, les accords de Sun City sont mis à rude épreuve.

Si pour les Congolais, les affrontements post-électoraux de 2007 ont confirmé ce qu’ils savaient déjà en juillet 2006, à savoir un rendez-vous manqué avec l’histoire, ils ont aussi confirmé le parti pris de la communauté internationale en faveur de Joseph Kabila.

Ce parti pris se confirme lors du scrutin de 2011 durant lequel Etienne Tshisekedi a vraisemblablement remporté le plus grand nombre de suffrage mais a été privé de “l’imperium” au profit de Joseph Kabila.

Cette prise de position de la communauté internationale va conduire à une crise de confiance des Congolais à son égard. Une crise de confiance qui explique la méfiance perceptible encore aujourd’hui des populations congolaises vis-à-vis des partenaires de la RDC et des institutions internationales, en premier chef duquel la MONUSCO.

2018 : Le choix du changement ou le changement manqué

Des élections de 2006 aux premiers jours de 2019, la République Démocratique du Congo vit sous le règne d’un Kabila émancipé. Un président maintenu par ses pairs, par la communauté internationale et par une certaine élite complaisante. Pourtant, dès 2015, nombre de Congolais se dressent contre des mesures visant à maintenir Kabila au delà du 19 décembre 2016; date qui doit alors marquer la fin du deuxième et dernier mandat présidentiel de ce dernier.

Cette lutte prend un nouveau relief en janvier 2015, au lendemain des jours fériés consacrés à la mort de Patrice Emery Lumumba et à celle de Laurent Désiré Kabila. Les congolais sont insurgés contre la stratégie de “glissement” qui visait à conditionner la tenue des élections législatives et présidentielle à la réalisation d’un recensement général qui devait durer entre 3 à 5 ans. Les manifestations durent du 19 au 26 janvier 2015. Elles sont sanglantes, particulièrement les 3 premiers jours, et aboutissent sur l’échec des dispositions controversées de la loi électorale

Trois ans durant, les manifestations se multiplient aussi bien organisées par l’opposition que le comité laïc de coordination ou d’autres organisations de la société civile. Les appels à la communauté internationale pour trouver une solution se font aussi de plus en plus fort.

C’est donc pleins d’espoir pour un changement profondément démocratique, pour la consolidation de la cohésion nationale, pour la paix à venir, que 48% des électeurs se dirigent aux urnes le 30 décembre 2018 lors de l’élection présidentielle : la première depuis 2006 à laquelle le président Kabila ne concourt pas. Pour s’assurer que l’histoire  change pour le mieux, l’Eglise catholique au Congo a déployé 40.000 observateurs. Pourtant, cette fois encore, les droits fondamentaux des Congolais sont bafoués. Alors que plus de 62 % des suffrages exprimés portent Martin Fayulu Madidi à la fonction présidentielle, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) annonce le 10 janvier 2019 la victoire de Félix Tshisekedi Tshilombo après fabrication des chiffres. Même les résultats des élections législatives nationales et provinciales sont biaisés.

Ainsi se tourne une page d’histoire et s’en ouvre une autre, par une énième crise de légitimité.

Les élections controversées de 2018, comme d’autres épisodes de l’histoire de ces 27 dernières années que nous avons soulevés ci-dessus renforcent la souffrance du peuple congolais. Il n’est pas maître de sa souveraineté.

Alors même qu’une grande partie de la communauté internationale a pris acte du fait que  Félix Tshisekedi est au pouvoir, les observateurs et la même communauté internationale confirment la très large victoire de Martin Fayulu. Ainsi, la RDC retombe dans la situation décriée au premier paragraphe de l’exposé des motifs de la Constitution, à savoir: “depuis son indépendance, le 30 juin 1960, la République Démocratique du Congo est confrontée à des crises politiques récurrentes dont l’une des causes fondamentales est la contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs.”

Systématiquement, des forces extérieures ont eu à user de leur influence conjuguée à la somme de leurs intérêts pour hisser au pouvoir des personnes non choisies par le peuple. Se faisant, les violences contre les Congolais persistent et sont principalement le fait de l’armée congolaise infiltrée et de certains pays voisins qui visent les ressources naturelles de la RDC. Ceci explique les tueries au Sud-Kivu, au Nord-Kivu, en Ituri, au Tanganyika et la déstabilisation des autres provinces de la RDC. 

Igor Ntumba

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